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anglaise avait su se maintenir à son rang, comment pouvait-on redouter les effets du nouvel acte? Un des armateurs les plus considérables de l’Angleterre, interrogé dans l’enquête de 1847, reconnaissait que les principes de l’ancienne loi de navigation avaient été « virtuellement abrogés » du jour où l’on était entré dans les voies de la réciprocité. Par conséquent, le libre échange maritime n’était que le corollaire des mesures adoptées successivement depuis 1815, et non une dérogation brusque et téméraire aux principes que les protectionistes invoquaient avec un enthousiasme au moins déplacé. Au principe de la restriction absolue avait succédé le système de la réciprocité, subi d’abord, puis largement pratiqué par la Grande-Bretagne : ce système lui-même n’était, pour ainsi dire, qu’une pente douce sur laquelle la législation pouvait glisser sans péril, à mesure que le pavillon national s’exerçait à la concurrence et prenait l’habitude de la liberté.

La réforme maritime était d’ailleurs la conséquence logique et inévitable de la réforme commerciale. Considérée comme industrie des transports, la marine n’est que l’instrument du commerce, et l’instrument le plus essentiel pour l’Angleterre, puisque les marchandises ne peuvent être importées dans ce pays ou exportées que par la voie de l’Océan. Or, après la levée des prohibitions et de la plupart des droits protecteurs qui frappaient les marchandises, il était indispensable de détruire en même temps les restrictions qui augmentaient les frais de transport. L’œuvre que se proposait d’accomplir sir Robert Peel, à savoir le développement du commerce de la Grande-Bretagne, l’abaissement du prix pour les denrées de consommation et l’agrandissement du débouché extérieur, cette œuvre fût évidemment demeurée incomplète, si l’on avait laissé subsister, pour les transports, le prix artificiel résultant de la protection, alors que les denrées elles-mêmes, par la suppression ou la modération des droits, avaient été ramenées à leur taux naturel. Et puis, comme le fit remarquer avec raison M. J. Wilson, l’un des économistes les plus distingués de la chambre des communes, les mesures commerciales adoptées de 1842 à 1846 avaient procuré à la navigation anglaise tant d’avantages, une augmentation si notable de transports et d’élémens de fret, que les armateurs n’avaient aucun motif de réclamer contre l’application des mêmes principes aux lois qui régissent leur industrie. On se rappelle, en effet, que dans sa campagne contre les protectionistes, sir Robert Peel fut vigoureusement soutenu par les représentans des ports, dont l’intérêt s’accordait naturellement avec toute mesure destinée à accroître le chiffre des importations et des exportations. Comment ces défenseurs si acharnés alors du libre échange se tournèrent-ils subitement en ennemis contre le même principe dès qu’il fut question de le leur appliquer? La réponse est des. plus simples : elle est écrite à chaque ligne