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Le troubadour et la dame secouent leurs membres de fantômes qu’a engourdis le sommeil; ils sortent de la muraille et vont et viennent par les salles.

Chuchoteries secrètes, gracieux badinages, douces et mélancoliques intimités, galanterie posthume du temps des chantres d’amour.

« Geoffroy! mon cœur mort se réveille à ta voix. Dans les cendres depuis long-temps éteintes je retrouve une étincelle.

— «Mélisande! bonheur et fleur! quand je regarde tes yeux, je revis. Il n’y a de mort en moi que ma peine, ma souffrance terrestre.

— « Geoffroy! jadis nous nous aimions en rêve; aujourd’hui nous nous aimons jusque dans la mort. Le dieu Amour a fait ce miracle !

— « Mélisande! qu’est-ce que le rêve? qu’est-ce que la mort? Rien que de vains mots. Dans l’amour seul est la vérité, et je t’aime, ô mon éternellement belle!

— « Geoffroy! qu’il fait bon ici dans cette salle, au clair de lune! Jamais plus je ne voudrais voir le jour et les rayons du soleil.

— « Mélisande! chère folle, tu es toi-même la lumière et le soleil; partout; sous tes pas, fleurit le printemps; partout s’épanouissent délices d’amour et délices de mai. »

Ainsi ils causent, ainsi ils vont de çà de là, ces gracieux fantômes, tandis qu’un rayon de la lune les écoute à la fenêtre cintrée.

A la fin cependant le premier éclat du matin met en fuite l’apparition charmante; ils se glissent, tout effarouchés, dans les tapisseries de la muraille.


CHARLES Ier.

Au fond de la forêt, dans la hutte du charbonnier, seul et sombre est assis le roi; il est assis près du berceau de l’enfant du charbonnier; il le berce et chante d’une voix monotone :

Eyapopeya[1], qu’est-ce qui s’agite dans la paille? — Tu portes le signe sur ton front, et tu souris, en dormant, d’une manière effrayante.

Eyapopeya, le petit chat est mort. — Tu portes au front le signe, — tu deviendras un homme et tu brandiras la hache; déjà les chênes tremblent dans la forêt.

La vieille foi du charbonnier n’est plus. L’enfant du charbonnier. — eyapopeya, — ne croit plus à Dieu, et au roi encore moins.

Le petit chat est mort, les souris sont bien à leur aise. Nous deviendrons un objet de dérision, — eyapopeya, — Dieu dans le ciel, et sur la terre moi, le roi.

Mon courage s’éteint, mon cœur est malade, et chaque jour il

  1. Eyapopeva, formule enfantine avec laquelle on berce les nouveau-nés en Allemagne.