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composition. Le maître mort, M. Navez enseigna à son tour. Dessinateur correct, mais peintre sans génie, faible coloriste, il n’a pas formé de grands artistes. Affaibli par l’âge, il persiste à peindre, et livre sans cesse à une critique impitoyable les œuvres malheureuses d’un pinceau usé et d’une verve refroidie. Néanmoins, et si impuissans que fussent M. Navez et son école à continuer l’art monumental de David, un grand résultat fut pourtant obtenu : la peinture revint en honneur, et avec la paix les beaux-arts refleurirent en Belgique. A partir de cette renaissance jusque vers 1830, les genres historique et mythologique furent à la mode; mais après la révolution, le romantisme déborda, le dessin fut méprisé, et la couleur régna sans partage. L’école de Bruxelles ne savait guère ce que c’était que la couleur, et, lorsque l’admiration fit retour aux grands maîtres flamands, Anvers devint le siège d’une école nouvelle, pleine en apparence de force et d’avenir, tandis que M. Navez et ses élèves tombaient dans le plus profond discrédit. Il y eut alors un moment où l’on se livra aux plus incroyables débauches de couleur. M. Leys, peintre aujourd’hui en grand renom, commença par être coloriste effréné; ses tableaux de ce temps-là sont des vitraux de cathédrale. A toutes les expositions où l’école d’Anvers envoyait ses tableaux météoriques, objets d’une admiration funeste, l’école de Bruxelles et M. Navez protestaient silencieusement par quelque pâle et classique peinture que dédaignait la foule éblouie.

Cette vogue de l’école romantique dura, en s’affaiblissant, jusqu’en 1840. On finit par s’apercevoir qu’à l’exemple d’une littérature célèbre, l’art des rénovateurs n’allait pas au-delà des préfaces, et une autre école se forma, qui, unissant le dessin à la couleur, comprenant l’importance de la conception et du plan, promit de restituer à l’art, avec son véritable caractère, sa dignité et son influence morale. C’est cette école, dont M. Gallait est le chef reconnu, que Bruxelles voit se développer et grandir. Anvers n’a plus maintenant que la seconde place, malgré le talent de quelques peintres plus habiles qu’inspirés, MM. de Keyzer et Wappers, qui étaient considérés, il y a quelques années, comme les Rubens et les Van-Dyck de la renaissance romantique.

Le gouvernement belge protège et encourage les arts; ses intentions sont excellentes, mais l’esprit provincial, tout-puissant en Belgique, les entrave et les paralyse. Toutes les grandes villes ont une école de peinture : de là division excessive des ressources et des fonds d’encouragement, et par suite insuffisance des moyens d’enseignement. C’est le défaut des gouvernemens constitutionnels d’encourager l’art avec peu de discernement, et de le traiter comme une industrie ou comme un métier. Le système de protection en usage partout fait beaucoup de peintres et peu d’artistes. On pourrait acheter peu de tableaux et ne choisir que les meilleurs; on en achète beaucoup et de médiocres. La