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peinture de M. Leys est d’un ordre inférieur et vulgaire ; on se tromperait fort. Son procédé est si beau, il a tant de distinction dans le dessin et dans la manière, il arrange et meuble si bien ses intérieurs, il montre tant d’habileté et de science ; la lumière qu’il a inventée a des éclats, des transparences et des effets si prestigieux, qu’il s’est donné par là une sorte d’originalité qui doit conserver toujours une valeur à ses œuvres et les préserver du dédain. On remarque que tous les tableaux de M. Leys se ressemblent ; c’est toujours la même recherche, la même lumière, le même luxe de détails et le même ton. M. Leys aura fait toute sa vie le même tableau. Il est vrai qu’il le fait bien.

Les sept huitièmes des peintres de genre de la Belgique, et, à peu d’exceptions près, tous ceux de l’école d’Anvers, sont, avec plus ou moins de talent, artistes comme l’est M. Leys. L’un a la spécialité des cuisines et des légumes, l’autre le monopole des marchandes de poisson ; celui-ci excelle à peindre les kermesses, et celui-là les intérieurs de cabaret. Il en est un qui a imaginé le tableau à double effet, où la lumière artificielle et la clarté de la lune contrastent et plaisent à l’œil, et depuis vingt ans il peint des marchés de ville éclairés ainsi. On peut nommer ce dernier après M. Leys. C’est M. van Schendel. S’il était vrai que la vérité absolue de l’imitation fût le comble de l’art, Rembrandt, comparé à M. van Schendel, ne serait qu’un mauvais barbouilleur, car autant Rembrandt idéalise et interprète librement la nature, autant M. van Schendel copie servilement, — comme un daguerréotype à double effet, et sans en écarter le trait vulgaire, trivial, inutile, — tout ce que présente la nature à son imitation. Ceci s’entend des effets de lune et de lumière factice, les seuls effets qu’ait réussi à rendre M. van Schendel. Je ne sais quel biographe de Gérard Dow raconte que ce peintre mit trois jours à peindre un manche à balai. Combien de peintres, et si l’on veut même, combien de poètes et de musiciens passent leur vie à refaire le manche à balai de Gérard Dow ! Grâce à la funeste complaisance du public, qui encourage ces puérils tours de force, le niveau moyen du talent a beaucoup haussé dans ces derniers temps ; les peintres tolérables abondent, mais il semble que l’art perde en proportion de ce que gagne le procédé, et la foule de nos demi-talens, si honorables qu’ils soient, ne saurait jamais nous dédommager de l’absence d’un homme de génie.

M. E. de Block, d’Anvers, est quelquefois sorti de cette foule. Son pinceau a eu d’heureuses inspirations. Cette année il fléchit, et le malheur veut qu’il fléchisse en un sujet charmant. Son tableau, les Moissonneuses au repos, représente ces moissonneuses couchées et endormies dans un grenier, sur les gerbes qu’elles ont recueillies. Des curieux sont à l’entrée, qui regardent et convoitent. Le sujet est traité avec décence, et c’est une justice à rendre à M. de Block ; mais pourquoi