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ce qu’il veut et de ce qu’il pense ; décidé à être important et puissant, soit par la cour, soit par le peuple, selon le moment, et à qui M. de La Marck écrivait avec un sens profond « J’allais oublier de vous parler de Marseille ; ne vous déterminez à y aller qu’avec la certitude d’être le chef du parti raisonnable, et cela n’est pas chose aisée dans ce moment ; quand, vous serez à Maseille, je craindrais que, plutôt que d’être vaincu, vous ne vous fissiez le chef du parti le plus fort[1]. » Voilà l’homme que M. de La Marck s’était donné la tâche de diriger, de contenir, d’épurer, de rendre utile à cause du roi et de la France. Pour accomplir cette œuvre pénible, M. de La Marck a sur Mirabeau deux prises d’abord il l’aime et il en est aimé ; ensuite, quoi qu’il l’aimes il le luge, et il le connaît. Il n’est donc jamais avec lui ni froid, ni dupe. Les lettres qu’il lui écrit pour le contenir et le ramener quand Mirabeau, par colère ou à dessein, s est laisse aller à quelque effervescence factieuse à l’assemblée nationale, ces lettres sont pleines de bon sens et d’affection. « Je ne vous ferai aucune grace, mon cher comte, lui dit-il dans une de ces lettres. Dieu ne m’a mis sur la terre que pour aimer, et, pour surveiller votre gloire ; rappelez-vous que j’ai eu peut-être à vous retenir dans un léger penchant que vous avez montré contre la révolution, lorsque je ne la croyais pas aussi faite qu’à présent. À cette heure, je veux vous faire travailler contre l’incendie, et vous m’affligez quand vous lui donnez plus d’action. » Et plus loin : « Tout ce qui se passe ici devant mes yeux remplit ma pensée de dégoût et d’idées tristes. Excepté ce pays-ci, je m’accommoderais fort bien de tous les autres, et j’y vaudrais peut être quelque chose. Au reste, je veux me faire postérité dans un siècle où elle vient en serre chaude ; alors je verrai presque du même, œil les troubles actuels que ceux de l’Angleterre il y a cent ans, à cela près des vœux pour des individus, et mon cœur n’en formera pas de plus ardens que pour vous. Quand vous verrai-je hors de la sphère d’un factieux et les réprimant avec votre éloquente énergie ? Enfin, quand vous verrai je faire l’emploi de vos rares talens pour cette tranquillité nécessaire qu’on n’obtient que par le respect et la soumission très difficiles des hommes pour l’ordre et la loi ? La France, à votre avis, n’est-elle pas encore assez désorganiser et les esprits n’y sont-ils pas encore assez égarés ? Mon cher comte, c’est de vous que j’ai long-temps espéré et que j’espère encore. Soyez donc moins violent contre la très explicable inertie des Tuileries. Ayez plus d’indulgence pour ceux qui veulent peut être la fin sans les moyens ; .mais les hommes se retrouvent en toutes choses, et rien n’est plus commun que d’aimer la vie sans s’assujétir au régime qui la conserve[2]. »

  1. Tome II, p. 349.
  2. Idem, p. 349 et 404.