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qué en chiffres de soleils sur le ciel, et dont l’aiguille sans fin s’allonge, s’allonge, s’allonge toujours en vain vers les bords de ce cadran, sans les atteindre jamais ;… » quand il se figure Dieu comme un « œil infini, » ou comme « un éblouissement de rayons rosés, » et qu’il ajoute par un semblant de retour au vrai de la nature : « Je vous dis cela très bêtement ! » on est tenté de lui répondre : Non, mon brave homme, ce que vous dites là, vous ne l’avez point trouvé sur votre montagne. Cela peut bien ressembler, suivant votre expression, « aux ombres de l’aile d’un oiseau sur le soleil ; » mais ce n’est pas vous qui le dites : c’est voire interlocuteur qui parle par votre bouche. L’homme qui gagne sa vie en taillant la pierre ou en labourant le sol n’a pas de ces raffinemens merveilleux de religion. Il croit au bon Dieu plus simplement ; il croit au prêtre qui le marie, qui baptise ses enfans et en fait des chrétiens ; il croit au cimetière où de père en fils il va reposer en terre bénie ; il aime à placer les premiers fruits, les œufs ou les agneaux nouveau-nés au pied de la croix du chemin, lorsque le curé, aux Rogations, parcourt les campagnes, et bénit au nom du bon Dieu les moissons naissantes. — Ceci n’est qu’un point dans cette vie populaire et rustique sur laquelle M. de Lamartine répand la prodigalité excessive de ses couleurs et de ses transfigurations.

Combien cette vie est mieux peinte dans un roman bernois dont M. Saint-René Taillandier parlait récemment, et qui vient d’être traduit heureusement : Uli, le valet de ferme ! livre simple et vrai, d’une réalité si saisissante, d’une moralité si juste et où l’idéal se dégage pas à pas comme un parfum sain et pénétrant. Les écoles contemporaines, il y a quelque trente ans, ont beaucoup accusé les faiseurs de pastorales du xviiie siècle d’avoir dénaturé ce monde populaire par la fadeur de leurs peintures. M. de Lamartine et bien d’autres ne remarquent pas qu’ils ne font qu’imiter les procédés du xviiie siècle. Seulement, M. de Florian poudrait ses bergers, les faisait participer des élégances musquées de Trianon et mettait sur leurs lèvres des romances mythologiques ; M. de Lamartine enlumine ses personnages populaires de teintes humanitaires, leur met à la bouche des professions de foi panthéistes, et écrit leur histoire dans ce langage opulent et démesuré qui est une des fascinations de ce temps-ci, style singulier où tout se mêle, où les expressions d’une métaphysique raffinée s’appliquent souvent aux choses les plus matérielles, les expressions d’un matérialisme et d’un sensualisme ardent aux choses les plus idéales, et où se retrouve partout cette marque artificielle que je signalais comme un des caractères d’une certaine espèce de littérature comtemporaine.

il y a évidemment, même au seul point de vue littéraire, des degrés et des nuances dans ce travail général de falsification. Il y a les hommes qui se servent de ces procédés de transfiguration comme d’une pourpre glorieuse, et il y a ceux qui n’ont à leur usage que les paillettes, les afféteries et les saillies maniérées d’esprits plus sautillans que vifs, plus capricieux que puissans. La fantaisie est le refrain et le thème accoutumé de ces derniers. Ce n’est point, hélas ! la fantaisie de Comme il vous plaira ou du Songe d’une Nuit d’été, ni même de Sterne ou d’Hoffmann, si vrais et si raisonnables dans leur folie apparente ; c’est une fantaisie toute en cliquetis de mots, en frivolités prétentieuses, en mièvreries guindées et en divagations infinies sur l’art et sur l’amour. Combien de choses de nos jours se sont abritées sous ce nom char-