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déclin, tandis que le talent de l’auteur de Charlotte Corday, en réalité, ne cessait d’être lui-même et ne faisait que se replacer par degrés dans l’estime publique à son vrai niveau, qui est celui d’un talent plus consciencieux qu’inventif, plutôt sérieux que vigoureux, plus mesuré que souple, et mieux fait pour inspirer l’estime qu’une sympathie entraînante. Une seule chose m’effraie: c’est le titre de Théâtre complet que M. Ponsard donne aujourd’hui à trois tragédies et à une pénible transformation en comédie de la plus légère et la plus charmante des odes d’Horace. N’apercevez-vous pas ici un des signes de notre temps? C’est que les souffles poétiques sont courts; l’inspiration se lasse vite, — et plus vite encore arrive le besoin de pousser à bout son succès, de se faire couronner avant que le soleil ait éclairé des moissons comme celles que faisaient en leur temps Corneille et Shakspeare.

Si le rapide épuisement et le prompt déclin se font sentir au théâtre, combien cela est-il plus vrai encore dans les autres genres de poésie! Il est sensible que nous vivons aujourd’hui à une heure de suspension poétique, à une heure où le peu d’œuvres qui apparaissent, fruits d’une inspiration incertaine, ne répondent plus à un sentiment universel, et où il s’agile en dehors de ce cercle factice quelque chose de mystérieux et d’inconnu. Qu’en sortira-t-il? Nous ne le savons assurément. Tant que ce quelque chose ne se sera point manifestement dégagé de la fermentation des âmes contemporaines, tant que les élémens nouveaux n’auront pas pris une consistance suffisante pour alimenter une inspiration rajeunie, tant qu’une direction plus féconde ne se sera point révélée, il y aura des fidélités honorables à l’art des vers, il y aura des essais d’esprits jeunes et peu assurés encore, il y aura la continuation artificielle d’un mouvement expiré, poursuivi par ce qu’on a nommé les poetœ minores : — il n’y aura point de vraie poésie. Tout au plus, dans les ébauches qui se succéderont, pourra-t-on rechercher le reflet mourant de la pensée littéraire qui s’efface, ou le pressentiment de celle qui travaille à se dégager. Une de ces fidélités honorables à l’art des vers dont je parlais, et que n’ébranlent pas les événemens, c’est M. Boulay-Paty, qui a déjà une longue carrière poétique. M. Boulay-Paty a écrit des odes dont quelques-unes ont reçu des couronnes académiques; il élève aujourd’hui un véritable monument à une forme délicate et légère de l’art, — au sonnet. Peut-être M. Boulay-Paly a-t-il mis trop de sonnets dans son recueil. Si le vers de Boileau pouvait leur être invariablement appliqué, ce seraient en vérité trop de poèmes. Je passe les Offrandes de M. Alfred de Martonne, qui sont encore des sonnets d’un degré inférieur. M. Deltuff; l’auteur des Idylles antiques et Élégies, est un jeune esprit qui aurait pu prétendre à un autre succès dans un temps différent. On pourrait se laisser effrayer par le titre de sa préface : De la Mission du poète! ce n’est heureusement qu’une spirituelle réfutation des folies ambitieuses qui ont été brodées sur ce thème. La mission du poète, selon M. Deltuff, c’est de faire des vers, et de tâcher de les faire bons : à quoi, je l’avoue, je ne trouve rien à redire. Les vers de M. Deltuff, dans la partie antique, sont une imitation souvent heureuse de Théocrite en passant par André Chénier. Ses Élégies ont certainement moins de nouveauté, bien que de source plus moderne. Un essai qui aurait pu pénétrer au vif de notre temps, c’est un poème quelque peu aristophanesque de M. A. Dufaï, sous le titre de Lélila ou la Femme socialiste, poème en quatre nuits. Le titre seul nous semble