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Mécènes de leur existence politique. Les excès de malheur et de crime auxquels la fatalité les condamne, ces horribles tragédies de famille qui s’accomplissent au fond de leur palais, jettent d’ailleurs sur le règne des descendans de Côme un éclat sinistre, un reflet de la destinée des Atrides. La physionomie des ducs d’Urbin, beaucoup moins imposante sans doute, a plus d’unité, de sérénité et de charme. Aucun de ces princes ne fut, à proprement parler, un grand homme; mais il n’en est pas un qui n’ait aimé sincèrement le bien, et leur gloire plus humble est pure de ce mélange de vices qui souille la gloire des Médicis. Dans le domaine des arts, bien d’autres points de dissemblance se révèlent entre les deux familles. L’une disposait de ressources immenses, et son opulente protection n’avait qu’à seconder le développement du génie sur un sol favorisé où il germait de lui-même; l’autre eut d’abord tout à créer, et, avec une autorité et des richesses infiniment plus restreintes, elle parvint à faire d’un peuple à demi barbare une colonie d’artistes et d’érudits. Les goûts raffinés des ducs d’Urbin donnent à cette race d’amateurs et de bibliophiles couronnés, pour ainsi dire, un caractère d’autant plus digne d’étude qu’il se retrouve tout entier dans les œuvres écloses sous leur douce influence. Rarement ces œuvres portent l’empreinte de la force et de la grandeur; mais, depuis les écrits de Bembo et de Castiglione jusqu’aux poésies de Guarini, elles respirent la grâce et l’exquise élégance. Veut-on de plus illustres exemples? Deux noms résument la diversité des tendances qui régnèrent à Florence et à Urbin. Les impérieuses créations de Michel-Ange ne sont pas sans analogie avec l’absolutisme et la fierté des Médicis; la perfection harmonieuse de Raphaël rappelle au contraire la puissance bienfaisante et l’éclectisme savant des princes de Montefeltro.

Il serait d’ailleurs assez difficile de cheminer sur les traces de M. Dennistoun dans la voie pleinement historique où il s’est engagé. Il lui arrive plus d’une fois de perdre de vue le but qu’il s’est proposé en y entrant; de peur de rien omettre, il se laisse distraire par les objets environnans et se détourne volontiers pour les regarder de près et les décrire. Ces digressions fréquentes embarrassent le récit et jettent quelque confusion dans la classification des faits. Ainsi la conjuration des Pazzi, le sac de Rome par les troupes impériales, semblent trop complaisamment racontés. De tels événemens ne pouvaient assurément être passés sous silence; mais ne suffisait-il pas d’en indiquer la corrélation avec les phases diverses de l’histoire des ducs d’Urbin? Ailleurs, au milieu de l’énumération des peintres d’Urbin, une longue page est consacrée à fra Angelico da Fiesole, qui ne se rattache à ces artistes que par sa liaison avec l’un d’entre eux, liaison fort passagère du reste, et qu’il était tout au plus nécessaire de rappeler incidemment. Il n’est pas inutile d’ajouter que M. Dennistoun possède deux tableaux: