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que pour s’occuper de ses travaux littéraires et de l’administration des états qui lui étaient rendus. Quelques voyages à Rome, où ses conseils ne furent pas sans autorité sur Jules II, auraient seuls dérangé le calme de son existence, si ses infirmités et des souffrances presque continuelles n’étaient venues le compromettre plus gravement. Goutteux dès sa première jeunesse, il resta, à l’âge de trente ans, perclus de tous ses membres, et les six années qui s’écoulèrent à partir de ce moment jusqu’à celui de sa mort augmentèrent encore le poids de ses maux, sans pour cela lasser sa patience ni altérer la sérénité de son esprit.

Au milieu des érudits et des poètes qu’avait attirés son affabilité autant que sa munificence, et qui ne le surpassaient pas en savoir, Guidobaldo enchérissait sur les doctes habitudes de son père, et faisait de son palais une académie où les journées étaient partagées entre la lecture et les occupations scientifiques, où l’amour des objets intellectuels se glissait jusque dans le choix des divertissemens qui remplissaient les soirées. M. Dennistoun ne semble pas établir de différence notable entre l’époque de Frédéric et celle de Guidobaldo : il faut pourtant reconnaître que les prétentions classiques du règne précédent commencèrent, sous Guidobaldo, à se montrer moins exclusives, et s’allièrent quelquefois au talent. Les ouvrages de Bibbiena, de Frédéric Fregoso et de plusieurs autres attestent les progrès de l’indépendance littéraire, et le style de ces écrivains, qui affecte encore les formes pédantesques de l’école, a cependant par momens une simplicité et une franchise inaccoutumées. Tout en s’inspirant des exemples de l’antiquité, on osait du moins tenir quelque compte des exigences modernes et traduire dans la langue nationale les idées du temps. Pour la première fois, l’expression en était portée sur la scène, et l’on représentait au palais d’Urbin cette comédie de Calandra, qui passe pour la plus ancienne pièce régulière du théâtre italien. Le troisième duc d’Urbin encouragea de tout son pouvoir cette réaction contre l’imitation systématique des chefs-d’œuvre classiques : il les connaissait aussi bien que personne et les étudiait sans relâche ; mais, beaucoup moins absolu que Frédéric, il n’immolait pas au culte du passé le goût des tentatives nouvelles.

Guidobaldo vit venir la mort avec cette résignation qui lui avait fait accepter l’exil, et qui, depuis si long-temps, l’aidait à supporter ses souffrances. Usé avant l’âge, il s’éteignit dans les bras de ses amis, qui l’avaient accompagné à Fossombrone, où il était allé chercher un climat plus doux, et, comme on lui parlait encore à ses derniers momens d’espoir de guérison, il répondit par ces vers des Géorgiques :

Me circùm limus niger et deformis arundo
Cocyti, etc………