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très-patiemment supporté. La vertu d’Emilia ne ressort pas seulement des plaintes un peu bruyantes et des pleurs étudiés de Bembo ; on en trouverait ailleurs des preuves plus touchantes, ne fût-ce que dans ces simples mots, à de chastes cendres, inscrits sur le médaillon sculpté où les traits de cette gracieuse femme furent reproduits après sa mort. Quant à son esprit et à l’aménité de son caractère, comment ne pas ajouter foi aux témoignages si précis de Castiglione et d’autres bons juges contemporains? Tantôt Emilia est « le lien qui unit toutes les volontés et les enchaîne sans les blesser jamais: » tantôt on nous la peint comme « l’ame de tous les plaisirs de la cour, la muse de la conversation, etc. » Julien de Médicis va plus loin encore en l’égalant tout net à « Amalasonte, reine des Ostrogoths, et à Théodelinde, reine des Lombards. » Quoi qu’en dise Julien, le nom d’Emilia Pia brille d’un éclat plus doux. On ne saurait y voir que le synonyme de l’élégance sans prétention et du savoir modeste; mais cela suffira peut-être pour qu’on le prononce avec un accent de sympathie, et l’on saura gré à celle qui le portait d’avoir préféré à l’ambition de devenir célèbre le désir d’être aimable et chère à ses amis.

Cette recherche de la grâce qui caractérisait à la cour de Guidobaldo les mœurs et les productions littéraires commençait aussi à devenir sensible dans les œuvres des artistes d’Urbin. L’architecte Bramante, dont plusieurs souverains de l’Italie se disputaient déjà les services, le peintre Timoteo della Vite, qui ne se soumit que beaucoup plus tard au joug de l’école romaine, quelques autres encore faisaient de la correction élégante et du goût la marque distinctive de leur manière. Enfin le moment était venu où le génie qui atteignit à la perfection de la grâce allait anéantir jusqu’aux derniers vestiges de l’affectation et de la raideur, Il semble qu’en apparaissant à cette époque, amie de la science, mais désabusée du pédantisme, avide du mieux, mais déjà familiarisée avec le bien, Raphaël ne pouvait arriver plus à point. Comment le duc d’Urbin ne songea-t-il pas à le retenir auprès de lui, ou du moins à le rappeler à la nouvelle de ses éclatans succès? Comment Guidobaldo. et plus tard son successeur François-Marie, purent-ils se montrer indifférens à une telle gloire? Il y aurait lieu de s’en étonner et d’accuser l’aveuglement de ces princes, si l’on ne tenait compte de certaines circonstances qu’il est à propos de noter. Raphaël, on s’en souvient, avait quitté sa ville natale en 1497; il la revit au bout de deux années, à une époque où Guidobaldo. menacé à la fois par le pape et par le roi de France, n’avait pas le loisir de s’occuper de ce talent naissant. Le jeune Sanzio dut reprendre le chemin de Pérouse, et il ne se décida à revenir à Urbin que lorsque le duc. réintégré dans ses états, put travailler en paix à y faire fleurir les arts. Giovanni Sanzi avait laissé à la cour de nombreux amis : le fils du peintre-poète fut donc accueilli avec bienveillance, et il aurait pu dès-lors faire tourner