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la palette minérale s’enrichit de tons plus éclatans; mais aussi une certaine affectation archaïque se glisse sous le pinceau des peintres sur faïence, et leur travail, en apparence plus libre, a cependant moins de caractère que celui de leurs prédécesseurs. Au XVIe siècle, l’art arrive à son apogée. La fabrique établie à Castel-Durante sous la protection spéciale du duc d’Urbin l’emporte sur toutes les autres par le talent des artistes qu’elle emploie et la qualité de sa poterie. Des vases de grande dimension, des devans d’autel, des plaques ou tableaux sur faïence attestent l’extrême habileté des sculpteurs et des peintres réunis dans cette fabrique, ou plutôt dans cette académie. Enfin le plus célèbre de tous ces artistes, Horace Fontana, devient, selon les termes un peu ambitieux cités par Passeri[1], un autre « Horatius Coclès, » qui entrave à lui seul la marche de l’étranger et assure la gloire de son pays. A partir du règne de Guidobaldo II, l’usage de la faïence peinte achève de se propager dans le duché d’Urbin et se substitue, dans la confection des objets de toute sorte, à l’emploi du bois, du métal et de l’ivoire. Les coffrets qu’on avait coutume d’offrir aux fiancées quelques jours avant leur mariage furent alors remplacés par des coupes ou des vases sur lesquels étaient figurés de tendres emblèmes, et qu’on emplissait de pièces d’or ou de bijoux. Les seigneurs faisaient peindre sur des poteries d’ornement, sur les pièces principales d’un service, souvent même sur de simples assiettes, le portrait des dames auxquelles s’adressaient leurs hommages, et le nom du modèle accompagné des épithètes bella, diva, etc., venait aider à la ressemblance ou dénoncer les vœux de l’acheteur. On sait que l’esprit de galanterie n’inspirait pas toujours les artistes chargés de l’exécution de ces ouvrages, et il n’est pas rare de rencontrer dans les cabinets des curieux certains sujets assez conformes à ceux que Jules Romain et Marc-Antoine avaient traités à Rome pour illustrer les sonnets de l’Arétin. D’autres abus survinrent. Insensiblement, la céramique se réduisit au rôle d’une industrie vulgaire. On finit par délaisser non-seulement le genre historique, mais même la tradition d’art nationale; on copia les dessins flamands de préférence aux cartons italiens, et l’avilissement de la peinture sur faïence, dont l’importation des porcelaines orientales allait compléter la ruine, suivait de près l’année où le dernier prince de la maison della Rovere était monté sur le trône.

  1. Istoria delle Pitture in majolica. — Des fabriques rivales de celles de Pesaro et de Castel-Durante s’étaient multipliées en Italie et particulièrement en Toscane. Horace Fontana, dont le talent n’avait pu être égalé, bien que les Florentins prétendissent le contraire, envoya à ses détracteurs, à titre de défi, une peinture sur faïence représentant l’armée de Porsenna arrêtée par Horatius Coclès. Au bas de cette peinture, chef-d’œuvre de l’auteur, on lisait : Orazio solo contra Toscana tuttu : double allusion à l’échec subi par le roi d’Étrurie et à la lutte victorieuse de l’artiste avec les descendans des Étrusques.