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pour exciter la défiance, et, réunie à la petite garnison du poste, elle permettait, si l’occasion se présentait, d’exécuter des coups de main de nuit, de châtier par des marches rapides ceux qui donneraient asile à nos ennemis.

Après plusieurs mois de courses, pendant que nos camarades, revenus à Mostaganem, se reposaient et respiraient la brise de la mer. nous avions tendu les cordes du bivouac au pied des murailles du fort du Khamis, sur un petit plateau exposé à l’ardeur du soleil et au vent brûlant qui arrivait de la vallée de l’Oued-Riou. Un carré de murs entouré de fossés, ayant à chaque angle un bastion; dans l’intérieur, des magasins, quelques baraques en planches et en pisé, — tel était le poste du Khamis, où trois cents hommes d’infanterie, gardant cent mille rations, vivaient durant l’année entière. Le Riou, torrent effroyable en hiver, ruisseau de trois pouces de profondeur et de dix pieds de large en été, rasait le pied du mamelon et arrosait un beau jardin, où la garnison cultivait, à l’ombre des grenadiers et des figuiers, les chous et les carottes destinés à l’ordinaire de la troupe. Les montagnes, du côté de l’est, étaient couvertes de bois de pins maigres et rabougris; à l’ouest, les collines de terre, verdoyantes au printemps, grises maintenant et crevassées par le soleil, offraient un triste spectacle; mais, vers le sud, l’œil, en remontant dans la vallée, n’était arrêté que par le rideau de montagnes où l’on distinguait, comme dans un nid d’aigle, la demeure du vieux Mohamed-bel-Hadj, le chef respecté de tout ce pays. Dans la direction du nord pourtant, l’étendue embrassée par le regard était plus grande encore : une pente douce conduisait du petit fort à une plaine de forme ovale, où se tenait le marché; à droite, un ruisseau bordé de lauriers-roses, arrivant d’une vallée qui menait à Orléansville par les terrains difficiles des Sbéahs, les hardis voleurs, mêlait ses eaux à l’Oued-Riou. Deux lieues plus loin, la rivière tournait, et semblait, tant les crêtes de montagnes se rapprochaient, disparaître sous une voûte; des murailles de terre s’étageaient à l’horizon, et les arêtes dentelées se détachaient du ciel bleu, où, depuis trois mois déjà, l’on ne voyait plus un nuage.

Dès que la trompette eut sonné le demi-appel, les chasseurs replacèrent les brosses et les étrilles dans leurs musettes. Tandis que le maréchal-des-logis Leretz venait prendre les ordres pour le lendemain, un homme de chaque tribu (les chasseurs appelaient ainsi leur association de route) s’en allait aux cuisines chercher la soupe du soir. On nommait cuisine le trou creusé en terre où brûlait le feu et bouillait la marmite, posée sur deux pierres. C’étaient là les nombreux fourneaux de nos chasseurs. Chevet, en les voyant, eût souri de pitié; mais ils suffisaient, je vous assure, pour cuire le morceau de bœuf, le riz et le haricot réglementaires.