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Cependant elle n’en fait rien. Le 10 janvier 1567, le conseil privé d’Angleterre donne raison aux deux parties. D’un côté, il approuve Murray, et déclare « qu’il n’a rien été produit contre lui et ses adhérens qui puisse porter atteinte à son honneur et à son allégeance; » de l’autre, il décide « que Murray et ses adhérens n’ont pas suffisamment prouvé leur proposition contre la reine, leur souveraine, de façon que la reine d’Angleterre dût concevoir ou prendre une mauvaise opinion de sa bonne sœur en quoi que ce soit. »

Pourquoi cette politique? M. Mignet dit : Il suffisait à Elisabeth d’avoir diffamé Marie et de s’être donné un prétexte de la retenir; mais, pouvant plus encore, pourquoi se le refuser? Lui était-il donc indifférent que l’on crût au crime de Marie ou qu’on en doutât, que tout le monde l’approuvât d’avoir enlevé la liberté à une reine coupable d’adultère et d’assassinat, ou qu’on la soupçonnât d’avoir déconsidéré une rivale par la calomnie et de s’en être débarrassée par la trahison? Pourquoi ne pas s’épargner, par la solennité d’un jugement rendu sur preuves irréfragables, les longs ennuis, l’embarras, les dangers que lui suscita la captivité de Marie? pour moi, je ne vois qu’une manière d’expliquer ce que M. Mignet appelle la compensation assez bizarre par laquelle la reine d’Angleterre faisait déclarer Murray innocent sans faire déclarer Marie coupable : Elisabeth n’avait pas voulu qu’il y eût jugement, parce qu’elle n’était pas assez certaine du crime.

Est-ce à dire que les lettres ne fussent pas de la main de Marie? M. Mignet m’ôte tout moyen d’en douter; mais tout y était-il de la même main? Voilà où le doute est permis. Les exemples d’interpolations étaient-ils donc si rares à cette époque, et y manquait-on d’habiles gens pour imiter les écritures à tromper ceux même au préjudice de qui se fabriquaient ces faux? Un défenseur ingénieux, quoique discret, de Marie[1], lequel ne prétend comme moi que rester dans le doute, cite deux exemples curieux de falsifications de ce genre postérieurs de quelques années seulement aux lettres de Marie Stuart, Le premier est celui d’une lettre de Leicester à Elisabeth, écrite de Hollande en l’année 1586. Les membres du conseil la crurent de nature à lui nuire auprès de la reine, et, en bons collègues, ils délibérèrent de la supprimer; mais Elisabeth s’étant plainte avec beaucoup d’amertume du silence de Leicester, ils rendirent la lettre inoffensive par des suppressions et des changemens, et, ainsi falsifiée et postdatée, ils la mirent sous les yeux de la reine, qui y fut trompée. Le second exemple est encore plus décisif. Aux mains de qui la cassette d’argent était-elle tombée d’abord? Aux mains de Morton, qui la remit ensuite à Murray. Eh bien! ce même Morton supprimait en 1571 l’original d’une lettre du roi de

  1. Quaterly Review, février 1841.