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bien convenir que contre de telles qualités, employées dans un tel sujet, j’ai peut-être trop peu prouvé, je ne puis pas néanmoins tromper mon sens intime, et, s’il faut le dire, je ne veux pas être persuadé. L’instinct qui me fait résister et à ma confiance dans l’historien et à ma défiance de mes propres raisons est de ces instincts qui ne cèdent qu’à l’évidence. Or, l’évidence manque ici; elle manque dans les faits et dans les vraisemblances. J’en profite pour douter, et, toutes réflexions faites, je ne puis ni admirer assez peu la mort de Marie Stuart pour la concilier avec sa participation exécrable au meurtre de son mari, ni haïr assez médiocrement son crime pour le concilier avec la sublimité de sa mort.

C’est cette impossibilité morale dont se sont autorisés, au temps où la querelle était religieuse, les adversaires et les apologistes de Marie Stuart. ceux-ci pour faire de cette princesse un ange, ceux-là pour en faire un démon. Les premiers niaient le crime pour n’avoir pas à en ternir la mort, les seconds rabaissaient la mort pour rendre le crime plus vraisemblable. On dit que la vérité est au milieu; mais ici le milieu ne peut pas consister à donner raison aux deux partis et à convenir avec les apologistes de Marie qu’elle est morte en sainte, avec ses adversaires qu’elle a vécu en scélérate. La vérité ne serait-elle pas dans l’opinion qui admettrait, comme seuls faits certains, la beauté de la mort et un crime fort en-deçà de ce qui est inexpiable? Une si noble fin, après des commencemens si coupables, est dans les forces de notre nature. La foi, — et l’on sait combien chez Marie la foi était vive. — Dieu mieux connu qu’au temps funeste où elle implorait de lui la rupture de ses liens avec Darnley, avaient pu faire ce changement dans cette ame délivrée de la passion par le temps et le remords. On ne remonte pas d’un fonds de bassesse, de lâcheté hypocrite, d’amour impudique pour un meurtrier, d’entremetteuse d’assassinat, on ne remonte pas, dis-je, d’un tel fonds jusqu’au tranquille courage et à la douce sérénité d’une des plus belles morts que le christianisme ait fait faire; mais de ce qui ne fut qu’un égarement criminel, — dût-il être allé, chez Marie Stuart, jusqu’à pardonner sciemment à l’homme dont elle faisait son mari le soupçon, qui devait se faire jour par intervalles, d’avoir trempé dans un homicide, — il était possible de se relever jusqu’à une telle mort. Ainsi l’ont pensé, dans le siècle de Marie, tous ceux qui n’avaient aucun intérêt à la glorifier ni à l’avilir, et telle est l’idée qui en est restée depuis lors chez les nations chrétiennes, où l’on sait d’expérience ce que le christianisme est accoutumé à faire en ce genre sur des théâtres moins élevés que l’échafaud de Fotheringay.

Cependant, par malheur pour Marie Stuart, quand l’histoire, aux mains d’un homme qui en comprend si bien les devoirs et la dignité, vient lui ôter le bénéfice de cette opinion indulgente, et, pièces en mains, la repousse dans son crime tout en se voilant la figure de pitié, on peut