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que M. Gleyre doute de lui-même. Je voudrais qu’une occasion publique lui fût offerte de montrer tout ce qu’il sait ; c’est à la peinture murale qu’il faudrait appliquer son talent. La Pentecôte qu’il achève pour l’église de Sainte-Marguerite est un encouragement au-dessous de ses travaux, et d’ailleurs ce n’est pas une peinture murale.

Les premiers débuts de M. Gleyre ne remontent pas au-delà de 1840. Dans cet intervalle de dix ans, il a produit une série d’œuvres peu nombreuse. J’espère démontrer par une analyse attentive que l’importance et la variété des pensées exprimées par l’auteur suffisent pour établir la durée de son nom. C’est une bonne fortune pour la critique d’avoir à discuter des œuvres conçues à loisir, exécutées avec persévérance. Il lui arrive trop souvent de se trouver en face d’œuvres éphémères, improvisées au hasard, et qui ne soutiennent pas la discussion. Si les tableaux de M. Gleyre soulèvent plus d’une objection, ils ont du moins l’avantage de susciter des réflexions de l’ordre le plus élevé. On peut ne pas partager tous les principes qui ont conduit la main de l’auteur, mais il n’est pas permis de méconnaître le zèle qu’il a déployé dans l’accomplissement de sa volonté. Chacune des figures tracées par son pinceau présente un sens déterminé : ni l’attitude, ni la physionomie ne prêtent à l’équivoque. La critique est donc placée sur un terrain solide, la discussion peut s’engager en toute sécurité. Ce n’est pas là sans doute un bonheur vulgaire. Les compositions improvisées déroutent le raisonnement le plus sincère par l’ambiguïté du sens qu’elles présentent : l’intelligence hésite entre l’approbation et le blâme. Et n’est-ce pas d’ailleurs gaspiller le temps que de l’employer à discuter des pensées que l’auteur lui-même n’a pas pris la peine de déterminer avant de les exprimer ?

Le premier ouvrage de M. Gleyre, le premier du moins qui ait été offert aux regards du public, représente Saint Jean dans l’île de Pathmos. Les critiques habitués à chercher dans la peinture ce que la peinture ne saurait donner ont prononcé sur cet ouvrage des jugemens assez étranges : les uns, pour faire preuve d’érudition., lui ont reproché de ne pas rappeler en traits éclatans les nombreux voyages de l’apôtre ; les autres, croyant témoigner leur générosité, ont bien voulu reconnaître sur le visage du saint la trace lumineuse de ses pérégrinations. Je ne m’arrêterai pas à discuter ces deux classes de jugemens également contraires au bon sens. Il est évident, en effet, qu’il n’est pas donné à la peinture de rappeler la vie antérieure du personnage qu’elle a choisi. La peinture, comme la statuaire, n’a qu’un moment à représenter ; c’est à la poésie seule qu’il appartient d’embrasser d’un seul regard et d’offrir à notre curiosité les différens momens d’une même vie. À moins de revenir aux premiers bégaiemens de l’art, la peinture doit s’abstenir sévèrement de toute lutte avec la poésie. Ce