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quelqu’un pour les soigner. Dans de semblables expéditions, l’homme isolé peut se tirer d’affaire tant qu’il jouit d’une bonne santé; mais la moindre maladie y devient aisément mortelle. Cependant, grâce à d’incessantes précautions, j’eus le bonheur de ramoner tous ceux de mes ouvriers qui ne s’écartèrent pas de la colonne, et je ne perdis que le petit nombre des déserteurs ou des traînards. Arrivé à Upata, j’y trouvai toutes les ressources qu’exigeait l’état de ma troupe; je dirigeai mes hommes par terre sous la conduite d’un bon caporal, et je m’embarquai à Puerto de Tablas sur une goélette qui m’amena en treize jours à Cumana.

Il me reste à indiquer en quelques mots les conclusions que je rapportais de mon pénible voyage à l’ancien Eldorado. J’écarte la question de salubrité du pays des mines, car l’épidémie qui nous assaillit à Tupuquen se manifesta à la même époque à Cayenne, qui se trouve sous la même latitude, et parait devoir être attribuée à d’autres causes qu’aux conditions du territoire d’Upata. Je me borne à essayer de préciser l’importance des mines d’or et le meilleur moyen de les exploiter. En employant le mot de mines, je me sers peut-être d’une expression impropre. Dans tout le bassin de l’Yuruari, qui présente une superficie de près de sept cents lieues carrées, il n’y a pas précisément de mines d’or; mais on rencontre un lit d’argile verte contenant de l’or, qu’il faut en extraire par le lavage. Ce lit n’a pas plus de quinze centimètres d’épaisseur. On l’a rencontré dans toutes les rivières, dans tous les torrens tributaires de cette rivière; je l’ai rencontré presque à la surface sur des points tributaires de l’Orinoco. Les Indiens des villages voisins de l’Yuruari disent que plus on avance dans le sud, plus l’or est abondant; mais les tribus de l’autre côté de l’Yuruari sont indépendantes, et il est dangereux d’aller sur cette rive, à moins d’être en nombre et armés. Le célèbre lac dont parlait l’ancienne tradition, et au milieu duquel il y avait de si grandes richesses, n’est pas autre chose que le territoire situé entre le Paragua et l’Yuruan; dans le temps de l’hivernage, qui dure huit mois en ces contrées, les pluies sont si considérables, que tout le territoire entre l’Yuruan et le Paragua ne forme plus qu’un vaste lac, et si, pendant huit mois de l’année, toute cette superficie est couverte d’eau, il me semble qu’il est plus juste de lui donner le nom de lac que celui de terre. D’ailleurs, comment les Indiens pourraient-ils savoir qu’il y a de l’or au milieu d’un lac, si ce lac ne se desséchait pas? et si l’or n’était pas abondant, comment s’en serviraient-ils pour faire des balles de fusil, quand ils vont à la chasse? Les Indiens même de Tupuquen ne comprennent pas bien la valeur de l’or. On les voit acheter des colifichets misérables pour des quantités d’or qui en représentent cinquante fois la valeur. Laissant de côté les points que je n’ai pu visiter, me bornant au bassin de l’Yuruari, je suis convaincu que sur ce point seul il y a autant de richesses qu’en Californie. Si l’on suppose une émigration de cent mille ouvriers européens laveurs d’or, le terme moyen du produit du travail d’un ouvrier un peu habile étant de 20 francs par jour, ou pourra retirer 50 millions de francs par mois; mais si, au lieu de laver dans des bâtées, on lave dans de grands cylindres de quatre mètres de long et d’un mètre de diamètre, en complétant l’opération dans un petit cylindre à bras, on peut tripler la somme de travail, et la machine ne laissera pas échapper la dixième partie de l’or, tandis que l’ouvrier le plus habile n’en recueille pas plus du tiers.