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faites d’une longue dalle de pierre ou de marbre, sur laquelle des ornemens ou des caractères gravés indiquent la profession et les noms du défunt. Un seul de ces tombeaux, celui d’un Allemand qui préféra la mort à l’apostasie, attire beaucoup de visiteurs. On attribue en effet à cette pierre tumulaire le pouvoir de guérir de la fièvre et de révéler l’avenir. Pour recouvrer la santé, il suffit de casser sur cette tombe le vase dans lequel on a coutume de boire ; pour connaître l’avenir, on doit jeter sur la dalle funèbre cinq petites pierres, et si on les voit tomber rangées en croix, c’est d’un bon augure. Le cimetière musulman, placé au-delà du cimetière chrétien, est beaucoup plus vaste, et on y remarque des tombeaux qui sont de véritables édifices. C’est un lieu de réunion et presque de plaisir pour les musulmans, qui s’y rendent principalement le vendredi. Parmi les tombes musulmanes, plusieurs sont surmontées de l’image d’un lion ou d’un tigre, indiquant la sépulture des guerriers, que l’on consacre par ces symboles du courage.

Cependant le moment approchait où nous devions quitter Ispahan. Nous allâmes, avec l’ambassadeur, prendre congé du roi et de son vizir. Méhémet-Chàh nous fit un accueil des plus bienveillans, et nous adressa des adieux tout-à-fait aimables. Nous ne trouvâmes point chez le vizir une réception aussi gracieuse. Hadji-Mirza-Agassi tenait, au moment où nous arrivâmes, un grand divan ; pour nous faire place, il dut lever la séance, et nous vîmes sortir de chez lui une foule de mollahs, militaires et mirzas de tout rang. Le vizir était dans un de ses accès de mauvaise humeur ; la pointe de son bonnet très éloignée de la verticale, les fréquens coups de poing qu’il s’appliquait sur le crâne, nous le donnaient assez à entendre, et le décousu de sa conversation, qui roula tour à tour sur les révolutions, sur la destinée des empires, sur les guerres des Persans et des Turcs, trahissait plus clairement encore ses préoccupations fâcheuses. « La Turquie, — dit-il entre autres absurdités, — fût-elle deux fois plus grande, ne serait qu’une petite bouchée pour la Perse. » L’ambassadeur, qui n’avait pas oublié le mauvais vouloir dont le ministre persan lui avait plus d’une fois donné des preuves, ne jugea pas à propos de suivre le vizir dans toutes ces divagations, qui commençaient à lasser notre patience. Il se leva brusquement, avant même qu’on eût apporté les kalioûns et le thé : c’était une grave impolitesse, un affront même fait au vizir ; mais Hadji-Mirza sentait qu’il l’avait mérité, et il dévora son dépit ; il eût sans doute été surpris que l’elchi en eût agi différemment.

L’ambassadeur de France quittait la cour de Perse avec un sentiment de déplaisir qu’il est aisé de comprendre : il y avait eu peu de succès. Après plus de trente ans, la France retrouvait en Perse les mêmes obstacles quelle y avait rencontrés sous le règne de Napoléon.