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gagés dans cette riante avenue, et déjà nous n’avions plus que quelques pas à faire pour atteindre les portes de la ville, quand nous fûmes arrêtés par des tuffekdjis de la douane, qui voulurent nous faire payer un droit pour nos bagages. Nous leur demandâmes s’ils se moquaient de nous, et depuis quand les Français étaient imposés pour circuler dans les états du châh, surtout quand ils étaient munis de firmans revêtus de son sceau. Les douaniers balbutièrent quelques mots, et voulurent néanmoins insister. C’était une ruse pour se faire donner un pichkéch ; mais ils s’y étaient mal pris : ils avaient prétendu exercer un droit, nous leur refusâmes un cadeau, et nous entrâmes à Chiraz sans nous inquiéter de leurs murmures.

La porte sous laquelle nous passâmes s’ouvrait sur les galeries d’un bazar très large et très bien construit, le plus beau peut-être que nous eussions vu en Perse. Le bazar de Chiraz a été édifié par les ordres de Kerim-Khân, prince zend, qui s’était emparé du pouvoir vers le milieu du XVIIIe siècle, après l’assassinat de Nadir-Châh. Nous traversâmes, au sortir du bazar, quelques rues marchandes, mais généralement peu spacieuses, et après mille détours nous arrivâmes dans le quartier chrétien, où nous comptions élire domicile dans quelque demeure arménienne. Nous aurions pu jouir de l’hospitalité brillante que nous assurait une lettre de recommandation pour un des plus riches habitans de Chiraz ; mais un sentiment de susceptibilité nationale nous détourna d’en faire usage. L’hôte auquel nous étions recommandés était en effet un agent très actif de l’Angleterre, et c’était le gouvernement de la compagnie des Indes qui pourvoyait en grande partie aux dépenses de sa maison. On comprend qu’il ne nous convenait guère de rien devoir à un agent de l’Angleterre à une époque où l’ancienne rivalité de la Grande-Bretagne et de la France venait de se réveiller plus vive que jamais, sous l’impression des événemens de Syrie en 1810.

Nous devions passer quelques jours à Chiraz pour y organiser une caravane et y présider aux préparatifs de notre voyage sur le littoral du golfe Persique. Une fois que nous eûmes choisi notre gîte et que nous y fûmes installés, notre premier soin fut de rendre visite au beglier-bey de Chiraz, qui était un châh-zadeh (frère du châh), et qui s’appelait Ferrhad-Mirza. Ce prince, âgé de vingt ans, avait quelques notions du français et de la géographie européenne, qu’il devait a une dame française que nous avions rencontrée à Téhéran. Ferrhad-Mirza tenait beaucoup de son frère Méhémet-Châh par sa bonté, par son extrême affabilité, surtout par l’intérêt qu’il témoignait aux Européens. Au moment de notre passage à Chiraz, le prince ne s’était point encore installé dans le palais de l’Ark, résidence habituelle des begliers-beys. Arrêté par un usage impérieux aux portes de la ville, il attendait, avec une résignation tout orientale, que son astrologue lui eût désigné