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argent passerait aussi par mes mains en sortant de ma poche, je suppose que tu dois vouloir qu’il soit purifié avant de le prendre ; va donc le ramasser là… » Et en disant cela, je jetai ce que nous devions dans une flaque noire et puante. Pour le coup, tous les visages prirent une expression de courroux. La leçon paraissait un peu verte à ces musulmans, mais je m’inquiétai peu de ce qu’ils en pensaient. Nous partîmes, laissant le fanatique marchand de dattes tout décontenancé de l’aventure.

Nous avions vu successivement le sol s’abaisser devant nous, et les jours précédens nous avions eu plus souvent à descendre qu’à monter : nous supposions donc que nous devions être beaucoup au-dessous de la plaine de Chiraz. Nous n’en avions cependant pas fini avec les montagnes, et, en partant de Kanara-Takhta, nous nous y trouvâmes engagés de nouveau ; mais le chemin était moins aride et le terrain moins rocheux. Après en être sortis, nous nous trouvâmes sur le bord d’une forte rivière qu’il nous fallut traverser. Nous y fîmes entrer nos chevaux avec précaution, et, en tâtonnant, nous finîmes par découvrir un gué où nos montures n’avaient de l’eau que jusqu’au milieu du ventre. Une gorge étroite, de l’autre côté de ce fleuve, nous montrait le chemin. Nos tchercâdars nous prévinrent que c’était un passage mal famé, et qu’il fallait être sur nos gardes. Nous devions cheminer un à un entre deux hautes murailles de rocs entremêlés de broussailles, qui pouvaient être d’excellens lieux d’embuscade pour des voleurs. Nous eûmes soin, tout en marchant, de regarder derrière chaque pierre, derrière chaque buisson, d’interroger du regard tous les creux du terrain ; mais nous ne vîmes pas l’apparence d’un danger. Nous passâmes heureusement, et, quelque propice que fût l’endroit pour une surprise, nous en fûmes pour nos frais de prudence. Quelques pas plus loin, nous arrivions au sommet de la dernière chaîne que nous eussions à franchir ; c’était aussi la moins élevée et la moins difficile. Nous vîmes, de ce point, s’ouvrir devant nous le large et profond horizon de la plaine sablonneuse de Bender-Bouchir. Pour la première fois depuis notre départ de Trébizonde, nous apparaissait un pays que ne bornaient ni montagnes ni rochers. À travers les vapeurs tremblotantes qui s’étendaient à perte de vue, on devinait la mer Persique. Jusqu’à la limite de ses flots, que nous croyions entendre, aucun mouvement de terrain ne coupait la ligne droite d’un sol qu’accidentaient seulement quelques formes de villages, quelques verdoyantes masses de dattiers. C’était donc un pays d’un aspect tout nouveau que nous allions traverser, et vers lequel la pente douce des derniers monts nous conduisait rapidement. Nous descendions d’un pas léger, attirés par l’espérance de la nouveauté, et nous fûmes vite rendus au village de Dallaki, situé sur le bord d’un courant d’eau saumâtre.