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Le seul point abordable de cette côte en occupe le milieu. Le havre de Rotheneuf est un ovale de plus de 100 hectares d’étendue, creusé dans le gneiss et s’allongeant parallèlement à la côte ; l’entrée, ouverte entre des roches acores, dont celles de l’ouest se rattachent par un isthme étroit et bas à la terre, n’a pas une encablure de largeur. Si nous possédions un pareil bassin sur la mer du Nord, il serait le siège d’un grand établissement maritime : trop voisin de la Rance, celui-ci n’a pas une barque de pêcheur pour animer sa solitude, et à peine sert-il de temps à autre de refuge à quelque bâtiment surpris par la tempête ou par l’ennemi entre la rade de Cancale et celle de Saint-Malo. Il est menacé d’être à la longue comblé par les sables qu’y poussent les vents, et la limpidité des eaux qu’il reçoit exclut toute idée d’y tirer parti des atterrissemens. Des courans fort vifs de flot et de jusant marchent devant Rotheneuf parallèlement au rivage. En coupant l’isthme, dont l’épaisseur est à peine de 60 mètres, on leur ferait traverser le havre ; ils en expulseraient le sable, et, si le développement de la navigation ou l’emploi de la vapeur dans les croisières rendait nécessaire un abri de plus sur cette côte dangereuse, le pays se le procurerait ainsi à peu de frais.

Si, au lieu de suivre les âpres dentelures de la côte, on se rend directement de Saint-Malo à Cancale, on voit partout la maigreur naturelle du sol corrigée par l’assiduité d’une culture déjà ancienne. De gracieuses maisons de campagne, de beaux villages entre lesquels se distingue Paramé, se montrent à des distances rapprochées. Cancale occupe un des points les plus élevés du plateau granitique qui se rattache par l’isthme de Châteauneuf aux terrains anciens du continent. Un sentier fréquenté conduit du bourg à la pointe escarpée de la Chaîne, d’où la vue plane sur la baie du Mont-Saint-Michel ; la côte de Normandie borne l’horizon, et le roc de Granville, les clochers d’Avranches, la pyramide écrasée de Tombelaine, le Mont-Saint-Michel, font saillie sur la lointaine uniformité de ses collines. On a la grande rade de Cancale à ses pieds ; sur la droite et sur la gauche se déploie la ligne de précipices qui s’étend de La Houle à la pointe du Grouin. À 600 mètres en avant de la Chaîne, l’île rocheuse des Rimains enveloppe dans ses escarpes déchirées un fort dont le canon bat toute la rade et croise les feux des batteries de la falaise. Entre l’île et le rivage sort du sein des flots le cône granitique du Châtelier avec sa tête couverte d’une calotte de gazon. Au nord, la côte, toujours abrupte et menaçante, court jusqu’à la pointe du Grouin, et embrasse dans deux échancrures profondes les échouages de Porz-Picairn et de Port-Mer. Le Grouin se recourbe légèrement et se prolonge à deux milles au nord-est par la crête sourcilleuse de l’île des Landes et par une chaussée sous-marine sur le dos de laquelle se dresse, comme pour