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rait bientôt cette limite en arrière ; l’enceinte de la ville cesserait de suffire à ses habitans, et il faudrait choisir entre l’essor et l’anéantissement de l’industrie que compriment à ses portes les servitudes militaires.

Tout est à faire dans cet ordre d’idées, et cependant, malgré la langueur dont notre marine est frappée par les incertitudes de l’avenir, des besoins impérieux réclament déjà l’élargissement ou plutôt la translation de l’enceinte sur la ligne que lui assignait Vauban. Il n’existe dans les murs mêmes de Saint-Malo aucun terrain dont puisse s’emparer l’industrie, et les constructions navales qui se développent autour du bassin ne peuvent plus se contenter des ateliers en plein vent d’autrefois : le perfectionnement de l’art amène d’autres exigences. L’année 1848 a trouvé à Saint-Malo vingt-quatre navires en chantier. De tous nos ports, Saint-Malo est celui dont le matériel naval est le plus considérable par rapport au mouvement local[1]. Les Malouins deviennent aujourd’hui les routiers de la mer ; ils fournissent des navires et des équipages aux ports où l’établissement maritime n’est point au niveau de l’établissement commercial. Rien n’est moins rare que des bâtimens malouins passant plusieurs années à naviguer dans des mers lointaines pour le compte de nos grandes places de commerce, et ne revenant au premier point de départ que lorsque de grosses réparations leur sont nécessaires. Aucune navigation n’est assurément plus digne d’encouragemens que celle-ci, et l’industrie des constructions qui lui sert de base ne demande que de l’espace et de la sécurité. Elle trouvera l’un et l’autre dans le déplacement d’une enceinte dont l’insuffisance actuelle laisse à la merci de l’ennemi ce qu’il importe le plus de préserver de ses atteintes, le port et les ateliers qui l’accompagnent. Le génie militaire ne s’est jamais mépris sur les moyens de changer en avantages les dangers de cette situation. Le 22 octobre 1832, le comité des fortifications, dans un avis conforme en principe aux vues de Vauban, proposait de livrer à l’industrie tous les terrains adjacens au bassin, et de protéger par des ouvrages extérieurs les établissemens qu’elle y formerait. Tandis que le génie, qu’on a quelquefois accusé de tendances contraires, comprenait si bien les intérêts maritimes, l’administration de la marine s’obstinait à vouloir placer au Tallard, sur le quai oriental, un avorton d’établissement fortifié fait pour mutiler, sans aucune utilité militaire, tous les avantages du

  1. Le matériel naval du port est le quinzième de celui de la France entière, 43,753 tonneaux sur 674,205. Il équivaut aux matériels de Dunkerque, de Rouen, de Brest et de Toulon réunis. Les ports du Havre, de Nantes, de Bordeaux et de Marseille en possèdent seuls un plus considérable. Le mouvement local n’est que le soixantième du mouvement général des ports.