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socialistes sont très peu répandus : on n’en demeure pas moins persuadé que les publications les plus exaltées sont les plus favorables à l’amélioration du sort des ouvriers. Si la conversation porte sur la politique, soit pendant les heures de repos, soit sur le chemin de l’atelier, la trace de cette opinion apparaît tout de suite. On reconnaît aussi sans peine qu’en voulant une même chose, la masse agit au hasard, le plus souvent en dehors des voies qui la rapprocheraient de son but. Jamais population n’eut un plus grand besoin d’être instruite, tant ses connaissances actuelles sont au-dessous de ses instincts! Mais comment triompher de la défiance générale fomentée dans ses rangs? Sans doute il faut du temps; il faut surtout qu’une bienveillance réelle inspire tous les efforts, et qu’on sache placer le foyer de l’action au sein même des classes laborieuses, qui aspirent visiblement à se gouverner elles-mêmes. Jusqu’à ce jour, qu’a-t-il été fait dans la fabrique rouennaise pour les instruire et les rendre plus morales? Quelles institutions viennent à leur aide? Comment a été compris le rôle de la société à leur égard? Par quelles tentatives, bonnes ou mauvaises, les ouvriers eux- mêmes cherchent-ils à réaliser l’émancipation désirée?

Pendant long-temps, ces graves questions ont assez peu préoccupé la classe éclairée de la population rouennaise. C’est aux fabricans que revient l’honneur d’être entrés les premiers d’une façon un peu notable dans la voie des améliorations. Quand ils s’efforçaient de rendre le régime disciplinaire de leurs établissemens chaque jour plus favorable au maintien des bonnes mœurs, les conditions matérielles plus satisfaisantes sous le rapport hygiénique, ne tendaient-ils pas en effet à affranchir l’existence de l’ouvrier de deux causes qui la dépriment et qui l’énervent? Après les rudes chocs dont nous avons été témoins, il n’était plus possible pour personne de tenir les yeux fermés sur les nécessités du temps. Les questions négligées devaient reprendre dans l’attention publique la place qui leur était due. Rouen est devenu le centre d’un mouvement d’idées dont l’état des populations ouvrières a été le thème subitement agrandi. Une institution scientifique et littéraire qui jouit d’une influence méritée, la Société libre d’émulation, a porté de plus en plus ses regards sur les intérêts de la classe laborieuse. Divers écrits sur telle ou telle institution concernant les travailleurs, sur tel ou tel côté de leur vie, ont été publiés par quelques hommes intelligens et généreux. Les brochures du docteur Vingtrinier, médecin des prisons, méritent une mention spéciale à cause des vues pratiques qui s’y trouvent jointes à des réflexions d’un ordre plus élevé; celles de M. Langlois d’Estaintot, à cause d’un vif épanouissement d’esprit. Des membres distingués du clergé se sont montrés sympathiques aux idées de prévoyance sociale unies à celles de la charité chrétienne. L’archevêque a voulu lui-même donner l’exemple; des sermons ont