Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/738

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certains logeurs s’affranchissent plus ou moins des prescriptions de la police; d’autres n’apportent pas un soin suffisant dans la surveillance de leur maison : aussi des infractions à la règle sont-elles journellement commises. Des introductions furtives occasionnent quelquefois, dans ces dortoirs communs, des scènes que la plume se refuse à décrire. Est-il possible d’imaginer une plus sûre école de corruption? Pour achever une tâche dont elle apprécie l’importance, la police locale doit assujettir à un régime plus rigoureux les logeurs publics, soit à Elbeuf, soit aux portes de la ville, à Caudebec-lez-Elbeuf.

L’industrie de Louviers est, vis-à-vis d’Elbeuf, dans une sorte de subordination, et le même rapport qui existe entre les deux cités se retrouve aussi entre leurs populations ouvrières. Cependant, comme Louviers ne renferme point d’ouvriers nomades, les germes de désordre y sont peut-être moins nombreux qu’à Elbeuf. L’absence d’initiative livre malheureusement les travailleurs des fabriques de Louviers à l’impulsion de la ville voisine. Un levain étranger gonfle aisément cette pâte, qui, d’elle-même, demeurerait à peu près inerte. Ainsi, en cas d’émotion politique, le mouvement commence à Paris, retentit à Rouen. agite Elbeuf et parvient ensuite à Louviers. Telle est la filière habituelle. Quelques meneurs du pays qui se croient un rôle n’exercent, au fond, qu’une influence d’emprunt. A défaut de principes, ils n’ont pas même communément la foi ardente et désintéressée qui peut parfois y suppléer. Le chef d’une fabrique, voyant chez lui un ouvrier, intelligent d’ailleurs, se faire constamment l’instigateur de l’agitation, imagina de le nommer contre-maître et n’eut plus à s’en plaindre. En temps ordinaire, les tisseurs sont la partie la plus remuante de la population de Louviers. Comme le tissage se fait ici à la main, sans appareils mécaniques, le repos du métier n’entraîne pas une perte de la force motrice; l’ouvrier jouit dès-lors d’une plus grande liberté de quitter sa navette quand l’envie lui en prend. De plus, la nature du travail changeant avec les saisons, les tisserands et leurs patrons sont obligés de régler plusieurs fois par an les conditions de leur accord. C’est une occasion de tiraillemens et de débats qui n’existe point pour le fileur, par exemple, dont le travail reste toujours le même.

Au point de vue purement moral, la situation n’est guère plus satisfaisante à Louviers qu’à Elbeuf. Un signe certain de la démoralisation dans une localité, c’est d’y voir de jeunes filles perdre le sentiment de la pudeur. Des fautes qui ailleurs détruisent pour jamais l’existence d’une femme passent ici inaperçues; on n’éprouve aucun besoin de les cacher : aussi pas d’infanticides, pas d’abandons d’enfans. Une fille devenue mère n’a guère plus de peine qu’une autre à trouver un mari.