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amoindri par l’intervention des autres dieux; il n’est pas moins vrai que la mythologie ne permet pas de confondre Apollon et Phébus : chacun de ces deux noms désigne un rôle particulier. Apollon se distingue de Phébus aussi bien que Diane se distingue de Phébé ou d’Hécate; mais il serait puéril d’insister sur ces misérables chicanes, et d’ailleurs la méprise ne doit pas être imputée à M. Delacroix, elle appartient tout entière au premier peintre de Louis XIV. Phébus-Apollon lance du haut de son char une flèche toute-puissante sur le serpent Python. Le monstre vomit des flots de sang, et son haleine impure obscurcit l’air qui l’environne. Les dieux et les déesses témoins du triomphe d’Apollon sont habilement groupés à la droite du spectateur. Diane, qui voit son frère lancer sa dernière flèche, porte la main à son carquois. C’est là un détail qui ne s’accorde peut-être pas avec l’idée de la divinité. Apollon n’est pas un chasseur ordinaire, et nous ne pouvons guère admettre qu’il ne blesse pas à mort du premier coup l’adversaire qu’il a choisi. cette réserve faite, je reconnais avec plaisir que le caractère des dieux et des déesses est nettement exprimé. Neptune, Mercure, Diane, Minerve, ont bien la physionomie qui leur appartient. Junon seule fait exception. Sans le paon placé près d’elle, il serait assez difficile de deviner le nom de cette figure. La manière singulière dont elle s’offre à nous nous laisse dans une complète incertitude. C’est en effet le dos de Junon qui attire d’abord notre attention, et, quelle que soit la beauté de cette figure, peut-être eût-il mieux valu nous la présenter autrement. La sœur et l’épouse de Jupiter devait se montrer à nous dans tout son orgueil. Le fond du paysage s’accorde très bien avec la nature de l’action à laquelle nous assistons, car la mort du serpent Python marque la fin du déluge et la retraite des eaux. La forme des montagnes a quelque chose d’antédiluvien. Le corps d’une jeune femme qui flotte sur les eaux est d’une grande beauté.

Ainsi, envisagée poétiquement, la composition de M. Delacroix nous charme et nous séduit. Il eût été difficile de tirer meilleur parti du programme tracé par Lebrun. Le char d’Apollon, bien que placé dans la partie supérieure de la toile, attire d’abord nos regards. Les chevaux ardens qui l’entraînent sont bien les chevaux du dieu de la lumière. Il y a dans ces coursiers une vigueur, un élan surnaturels. Heureusement le mérite poétique n’est pas le seul qui recommande cette belle œuvre; l’œil n’est pas moins satisfait que la pensée, c’est-à-dire que les conditions principales de la peinture sont rigoureusement respectées. Il est hors de doute que ce plafond comptera parmi les meilleurs ouvrages de M. Delacroix. Cependant, pour s’en faire une juste idée, il convient de l’examiner sous l’aspect purement technique, c’est-à-dire d’étudier le dessin et la couleur des figures. Depuis vingt-neuf ans, les peintres qui se donnent pour les disciples fidèles de David s’évertuent à prouver que M. Delacroix ne sait pas dessiner. Il y a dans ce reproche une telle exagération qu’il est inutile de le discuter. Que son dessin soit parfois incorrect, c’est ce qui demeure évident pour ses plus fervens admirateurs, et ce serait mal servir sa cause que de s’obstiner à vouloir trouver chez lui l’irréprochable pureté des lignes et des contours. Il vaut mieux cent fois accepter franchement son talent tel qu’il est que de le comparer sans relâche aux maîtres qu’il n’a pas choisis pour guides. A quoi bon lui opposer à tout propos les écoles de Florence et de Rome, puisqu’il a pris pour