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par nous attirer dans ses magiques spirales. Les chapitres intitulés : l’abîme appelle l’abîme, — l’apocalypse du Vivier, produisent vraiment cet effet étrange et nous livrent la pensée, de l’auteur, pensée complexe qui va de Voltaire à Mirabeau, de Louis XV à Danton, des folies aux crimes, des sourires aux larmes. En baissant un peu le ton et sans trop nous perdre dans ces visions et ces rêves, nous indiquerons, comme tout-à-fait dans la bonne manière de M. Janin, le chapitre où le comte de Laugeron-Thémines, un vrai grand seigneur, amoureux d’une petite bourgeoise qui lui a donné un fils et qu’il a résolu d’épouser, renonce à ce projet si honorable en lui-même, parce qu’il lui semble que ce serait céder aux entraînemens et aux déclamations du moment, parce qu’il veut résister au torrent et narguer les philosophes, parce que enfin, assistant à une représentation de Nanine, toutes ces théories d’égalité, délayées en mauvaises rimes, l’exaspèrent, le révoltent et finalement le décident à faire le contraire de ce que déclame Saint-Alban. Le comte de Laugeron sent que ce vieux monde auquel il appartient chancelle et s’envole sous ses pieds; mais il ne veut pas être complice de cette destruction, et plutôt que d’y concourir, il sacrifie les plus doux penchans de son cœur. Il y a là vingt pages très bien observées, très bien senties et très bien dites.

Le style des Gaietés champêtres peut donner lieu, comme le livre même, à des jugemens bien différens. Si l’on s’en tient à la surface, il est certain qu’il y a abus, exubérance, prodigalité, gaspillage, que cette plume infatigable se met trop souvent la bride sur le cou, qu’elle ne sait pas s’arrêter à temps, et que le lecteur devient ce qu’il peut, au milieu de cet étourdissant steeple-chase. Et pourtant, lorsqu’on examine plus attentivement le travail de ce style, on reconnaît que ces défauts tiennent à une passion littéraire, à une avidité des bonnes et belles choses, qui s’obstine à grouper sans cesse autour de chaque idée et de chaque mot une foule de souvenirs, de rapprochemens, d’allusions, de fleurs païennes ou sacrées, antiques ou nouvelles. L’abeille voltige et butine trop; mais, après tout, c’est une abeille. Ce qui emporte et égare parfois M. Janin, ce n’est pas, à Dieu ne plaise! le manque de goût, l’absence de tact, le mépris des règles : c’est une sorte d’ivresse intellectuelle, un sentiment trop vif du bonheur de bien écrire, quelque chose d’analogue à ce qu’éprouveraient Carlotta Grisi ou Fanny Cerrito, si, transportées tout à coup du plaisir de danser et entraînées dans un tourbillon invisible, elles cessaient d’entendre l’orchestre, de voir les planches et de songer au public. Ainsi le principal défaut des Gaietés champêtres n’est que le revers d’une qualité, de ce sincère amour des lettres qui honore M. Janin, et qui, dans ces derniers temps, a précisé et agrandi son rôle au milieu de tant d’affaissemens et de défaillances. A une époque où les lettres n’ont été, pour la plupart de nos illustres, qu’une étape ou un prélude, les aimer pour elles-mêmes, s’y renfermer et s’y complaire, ne vouloir être ni moins ni plus, et savoir ennoblir sa tâche par sa persistance même à n’en pas sortir, c’est là un mérite et un honneur qui recommandent M. Janin à toutes les sympathies, nous allions dire à tous les suffrages. Cette qualité que nous constatons chez l’ingénieux écrivain, cette fidélité à son art que d’autres désertent ou trahissent, nous rassurerait au besoin, si nous avions en définitive à juger ses Gaietés champêtres avec quelque rigueur ou quelque réserve. Un de ses plus spirituels prédécesseurs écrivait, il y a vingt-cinq ans, à propos des Natchez de M. de Chateaubriand : « C’est un ouvrage qui n’a pas