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avaient succombé, mais en se défendant ils avaient blessé deux de leurs agresseurs. Si ces deux Chinois ne survivaient pas à leurs blessures, l’exécution de quatre coupables devait être considérée, suivant le vice-roi, comme une réparation suffisante. Fidèle au principe admis par la législation du Céleste Empire, le vice-roi de Canton aurait ainsi payé la vie de six Anglais par celle de six Chinois. Sir John Davis repoussait avec indignation un pareil marché et n’en réclamait que plus vivement la recherche et la punition de tous les complices qui avaient trempé dans ce guet-apens.

L’étrange prétention du vice-roi était faite pour soulever des doutes non moins étranges. Les Anglais de Hong-kong n’avaient point approuvé en général les brusques exécutions de Houang-chou-ki. « Ne devait-on point craindre, disaient-ils, que dans son empressement à établir une compensation du sang versé, à sacrifier tête pour tête, le vice-roi n’eût substitué aux véritables coupables des criminels condamnés pour d’autres délits et déjà destinés au supplice? » Ce soupçon offensant apparaissait au fond des exigences du plénipotentiaire, Ki-ing invoquait pour se défendre de cette odieuse imputation cinq années de relations loyales et honorables avec les Européens; cependant l’agitation de la province, en réduisant à l’impuissance son autorité, n’avait-elle pu lui suggérer cette fraude, familière aux mandarins du Céleste Empire? On savait que, depuis l’expédition du 3 avril, des bandes de braves s’étaient formées dans chaque village pour repousser par la force des armes les barbares qui oseraient débarquer sur les rives du fleuve. Les anciens des villages, assemblés dans la salle des ancêtres. avaient décidé que, pour l’entretien de ces milices rurales, chaque famille fournirait son contingent d’hommes et de subsides. Les braves étaient nourris à frais communs, pourvus d’un chapeau de bambou, d’une pique et d’un double sabre. Vingt de ces braves formaient une section sous les ordres d’un chef qui portait un gong; quatre-vingts composaient une compagnie, à la tête de laquelle marchaient un porte-drapeau et un tambour. C’était à ces levées de volontaires qu’appartenait la bande d’assassins qui avait immolé les Anglais débarqués près de Houang-chou-ki, et il avait dû être plus facile en effet de trouver les victimes exigées dans les prisons de Canton que d’aller les chercher au milieu de ces bataillons indisciplinés.

Livré à ses tendances naturelles, sir John Davis eût, à l’exemple de Ki-ing, pratiqué la politique de conciliation. Long-temps surintendant du commerce britannique à Canton, initié aux mœurs et aux coutumes chinoises, dont il avait fait une étude approfondie, il n’ignorait point tous les embarras qui assiégeaient le malheureux vice-roi du Kouang-si et du Kouang-tong. Il comprenait qu’en poussant trop loin ses exigences, il courait le risque d’attirer la colère impériale sur la tête