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mandarin qui, élevant des deux mains sa tasse pleine de sam-chou à la hauteur de sa bouche et imprimant à sa tête un balancement saccadé, ne se crût obligé de formuler un toast complimenteur à l’adresse de l’un d’entre nous. Le beau Houan, le représentant du ti-mié (de la fashion en Chine), se distingua surtout par son urbanité louangeuse. Il but, le flatteur, à la barbe vénérable d’un des officiers de la Bayonnaise et attribua modestement soixante-dix ans à un homme qui en avait à peine trente; mais Houan connaissait le cœur humain, et son sourire plein de finesse et d’intention semblait dire à son interlocuteur : « Vous devinez que je vous flatte, mais je suis sûr que vous me le pardonnez ! »

Au milieu de ces gracieux échanges, la confiance ne pouvait manquer de s’établir entre les enfans de la terre des fleurs et les aimables Fa-lan-ça-is; mais le jour baissait, et nous dûmes bientôt prendre congé du vice-roi. Les effusions qui nous avaient accueillis au moment de notre arrivée nous accompagnèrent jusqu’au bateau, à bord duquel le vice-roi voulut lui-même nous voir monter. Le jusant nous servit aussi bien que nous avait le matin secondés la marée montante, et, avant le coucher du soleil, nous avions regagné les factoreries.

L’envoi d’un agent diplomatique en Chine était une nouvelle sanction donnée par le gouvernement français au traité de M. de Lagrené. Aussi, dès cette première entrevue avec le ministre de France, les autorités de Canton durent-elles abandonner tout espoir de nous voir jamais laisser échapper ou s’amoindrir cette précieuse conquête. C’est toujours une tâche ingrate que d’être obligé de négocier avec les hommes d’état de l’Orient. Le génie même des langues orientales sert admirablement ces diplomates de naissance à envelopper dans les nuages d’une métaphore continue la pensée à laquelle ils refusent à dessein la netteté et la précision. Plus d’une fois la patience des envoyés européens s’est épuisée dans ces pourparlers stériles; mais dans cette occasion le ferme et noble langage que les mandarins entendirent dut les convaincre que, si la France voulait rester fidèle au traité négocié en son nom par M. de Lagrené et n’y apporter aucune modification, elle entendait aussi imposer à la Chine la stricte exécution de cet engagement. M. Forth-Rouen ne voulut point dissimuler au vice-roi la sensation profonde qu’avaient causée en Europe les promesses de tolérance religieuse qui avaient suivi le traité de Wampoa. Il sut lui laisser comprendre combien dans notre pensée ce grand intérêt dominait tous les autres, et combien il importait au maintien des bonnes relations qui n’avaient jamais cessé d’exister entre les deux empires que ces promesses ne fussent pas rendues illusoires par le zèle exagéré des autorités secondaires.

A prendre comme sérieuses les assurances réitérées du vice-roi et des mandarins qui l’entouraient, toute idée de persécution eût été à