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révolution a le plus abusé, l’insolence, l’insolence en bas, l’insolence en haut, aucun respect nulle part, et, au sein de cette société si polie en apparence, la grossièreté qui commence à poindre, une grossièreté mêlée de férocité, et qui facilite et active l’esprit de révolte. Que dites-vous, par exemple, de l’anecdote que voici : « Juin 1787. La reine s’étant trouvée à l’Opéra il y a huit jours, quelques insolens ont crié : Voilà le déficit ! ce qui fut répété dans la salle. Durant toute l’assemblée des notables, malgré la violence des propos dans tous les lieux publics et sociétés, on n’a mis personne à la Bastille, fait attesté par M. Du Puget, lieutenant du roi de la Bastille. » Est-ce que cette exclamation injurieuse ne vous semble pas faire assez bien pendant aux sobriquets immondes dont plus tard les sans-culottes accablèrent la royale famille ? Voilà le déficit, cela nous prédit par avance la Madame Veto des chansons anarchiques et le « ah ! voilà l’Autrichienne ! » du 20 juin 92. Un fait tout nouveau, c’est que cette insolence inouïe ne trouve même pas sa punition, les portes de la Bastille ne s’ouvrent plus. Dans cette société affaissée et près de sa fin, il n’y a plus même le courage de la répression. Remarquez aussi que cette manière de désigner la reine implique toute une révolution dans l’esprit des hommes : désormais le roi ne sera plus que le budget, un système de finances ; le roi, ce sera le système, et les gouvernans seront des employés chargés de le faire mouvoir. Non-seulement le respect est mort, mais l’ancienne manière de considérer l’autorité est morte avec lui.

En attendant, Marat, sorti de ses repaires souterrains, pérore aux Tuileries et commente le Contrat social aux applaudissemens de la foule, et des pères Duchêne inconnus placardent sur les murs de Paris et de Versailles des bouts rimes plats et obscènes contre le roi et sa famille. Parmi ces bouts rimes que cite Mallet Dupan, il en est qui portent avec eux leur enseignement ; bien fous étaient ceux qui ne voyaient que le résultat d’une ébullition passagère dans ces attaques ignobles contre la royauté. A propos de ces placards, Mallet fait la réflexion suivante : « Le Français, étant incapable de délibération froide, l’est aussi d’un gouvernement libre où chacun doit discuter avec poids et mesure. » Hélas ! de pareilles misères ne proviennent pas de la vivacité, de la mobilité et de la facile irascibilité de l’esprit français ; la vivacité, la mobilité du caractère sont des qualités plus ingénieuses. Non, ces placards indiquent la volonté d’être insolent, la détermination bien arrêtée d’injurier, l’envie formelle d’être irrespectueux. Bien loin d’être sorti de l’échauffement des esprits, tout cela est au contraire froid et calme, et la platitude n’empêche pas ici la méditation. Ces injures ont aussi leur profondeur, et en tout cas indiquent une haine vivace qui fera son chemin ; elles présagent les infâmes calomnies du tribunal révolutionnaire.

Vous avez vu l’insolence d’en bas, élevez vos regards vers les plus