Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/879

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsqu’au mois de novembre suivant (1763). le parlement s’assembla, George Grenville saisit la chambre des communes de cette affaire. Le no 45 du North Briton fut mis sous ses yeux, et une majorité de 237 voix contre 111 décida que ce papier était un mensonger, scandaleux et séditieux libelle, tendant à la trahison (traitorous), et qu’il devait être brûlé par la main du bourreau. Wilkes dit de sa place que tous les droits de la chambre étaient outrageusement violés dans sa personne, et fit la motion de prendre en considération immédiate la question de privilège ; mais la chambre, qui venait de commettre déjà un étrange abus de pouvoir en prononçant une sorte de verdict de culpabilité en matière de presse, et en condamnant moralement un de ses membres pour un acte qui n’était pas de sa juridiction, ne devait pas s’arrêter là : elle vota l’ajournement. Bientôt un ministre, lord Sandwich, déféra à la chambre des pairs un poème burlesque et indécent, attribué à la même plume que le North Briton, et intitulé Essai sur la Femme, avec des notes, par le docteur Warburton. évêque et théologien célèbre, dont le nom, si souvent cité par Voltaire, était là dérisoirement introduit. Or, il faut savoir que lord Sandwich, qui tranchait ainsi du puritain, avait, ainsi que beaucoup de jeunes seigneurs à la mode, vécu dans l’intimité de Wilkes et partagé ses déréglemens ; même c’étaient eux, disait-on, qui l’avaient initié à de certains clubs suspects où leur jeunesse cachait de coupables plaisirs. Le club des Dilettanti et une société plus mystérieuse, celle de Medmebham Abbey, passaient pour des institutions consacrées à la liberté illimitée des opinions et des mœurs. Sur l’entrée d’un ancien couvent de Cîteaux, où cette société tenait ses séances, on avait gravé la célèbre inscription de Thélème : Fais ce que voudras. On y voulait bien des choses en effet, et les membres de la confrérie passaient pour y célébrer, habillés en moines, d’étranges orgies, où la religion était, ainsi que la pudeur, cyniquement outragée. C’était dans la compagnie de ces roués du grand monde que Wilkes, qui les recevait à sa table et les divertissait de ses saillies, avait compromis sa fortune et avec elle sa réputation. Cependant il lui fallut entendre ces saints d’une nouvelle espèce dénoncer avec l’indignation de la vertu un poème composé peut-être pour amuser leur goût pervers, et dont un abus de confiance avait pu seul leur procurer un des exemplaires secrètement imprimés par une presse particulière et pour quelques amis. Vainement lord Temple réclama. Warburton, qui siégeait dans la chambre comme évêque de Gloucester, tout surpris et tout indigné du burlesque usage qu’on avait fait de son nom, s’emporta jusqu’à dire que les plus noirs démons de l’enfer refuseraient d’y tenir compagnie à Wilkes, lorsqu’il y arriverait. On ne sait trop ce que la chambre des lords, visiblement fort animée, aurait pu faire d’une question qui paraissait hors de sa