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Au milieu de l’irritation générale, Wilkes cependant fut jugé par la Cour du banc du roi et déclaré coupable d’avoir publié le North Briton et l’Essai sur la Femme ; mais la Cité de Londres donna le droit de bourgeoisie et les franchises attachées à ce titre au juge Pratt, dont elle fit placer le portrait dans Guildhall. Dublin et d’autres villes importantes se signalèrent par des manifestations analogues. Des tabatières d’or furent votées de tous côtés pour le magistrat qui avait condamné les mandats généraux. Quant à Wilkes, il n’avait pas quitté Paris ; aussi fut-il déclaré hors la loi, outlaw, ce qui en Angleterre est une sorte de condamnation pour contumace. Son imprimeur fut condamné au pilory ; il s’y rendit dans un fiacre qui portait le no 45 en l’honneur du célèbre n" 45 du North Briton, et la multitude qui l’entourait fit sur place, en sa faveur, une quête qui produisit 100 livres sterling. Ainsi, chacun des actes de la procédure contre Wilkes était accueilli par les témoignages éclatans du mécontentement populaire, et donnait ordinairement lieu, dans le parlement, à quelque motion correspondante qui, vivement débattue, n’était rejetée qu’à de faibles majorités ministérielles.

La fermeté de Grenville, attaqué par le public, trahi par le roi, ne put long-temps résister à l’orage. Son ministère fit place à celui de lord Rockingham. Conway y remplissait les fonctions de secrétaire d’état. Pratt devint pair du royaume sous le titre de lord Camden, et, le 25 avril 1766, une résolution de la chambre des communes condamna formellement les mandats généraux. Peu de temps après, il entra comme chancelier, à la suite de lord Chatham, dans le ministère du duc de Grafton. Encouragé par chacun de ces changemens successifs, Wilkes vint deux fois en Angleterre incognito pour négocier successivement avec les deux premiers ministres. Il demanda à lord Rockingham sa grâce entière, le paiement de ses dettes et une pension de 1,500 livres sterling. Ces conditions exorbitantes furent refusées, et il se vit réduit à accepter, pour retourner à Paris, 3 ou 400 liv. sterl. de la libéralité personnelle des ministres, qui ouvrirent entre eux une souscription pour s’en débarrasser. La seconde fois, il s’adressa au duc de Grafton, auquel l’unissaient d’anciennes relations, mais qui n’osa rien décider et le renvoya en quelque sorte à lord Chatham. Celui-ci, brouillé alors avec lord Temple, fut inabordable et laissa dans l’abandon le patriote solliciteur. De retour en France, Wilkes écrivit au duc de Grafton une lettre publique dirigée contre lord Chatham. Il y rendait un juste hommage à ses grands services, mais seulement pour se donner le droit de lui reprocher plus amèrement son égoïsme dédaigneux, ses oublis, ses variations, l’abandon d’anciens amis et d’anciens principes, l’alliance actuelle avec des bommes qu’il avait accablés de ses mépris. À cette lettre, où tout n’était ni faussement ni mal dit, sir