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caractère de Grenville, qu’il accuse les ministres d’avoir méconnu et trahi ; il dénonce avec indignation l’esprit d’indépendance qui s’est emparé des colonies, oppose leur ingratitude et leur turbulence aux illusions et à la faiblesse du gouvernement, et montre les ministres sans cesse ballottés entre un fond d’opinions faussement populaires qui les rendent indulgens pour toute apparence d’appel aux principes de la révolution, et leur orgueil de courtisans et de parlementaires, qui leur dissimule la gravité de la lutte et l’énergie de la résistance. Toute l’inconséquence d’une politique qui blesse et n’intimide pas, qui condamne sans réprimer et s’indigne plus qu’elle ne s’inquiète, est signalée avec une piquante sagacité, et cette fois le langage, plus sévère que caustique, est bien celui qui convient en de pareilles matières. Les suites à venir elles-mêmes des fautes du pouvoir sont aperçues ou du moins annoncées. Le besoin de les aggraver, plus peut-être qu’une pénétration particulière, conduit l’écrivain à prévoir la chance d’une séparation, et même la possibilité d’une guerre étrangère. L’alliance de la France et de l’Espagne dans la question américaine est prédite, et l’homme d’état commence à se montrer, dans ces lettres où n’avait encore percé que l’homme d’esprit qui suit, en critiquant, son humeur plus que sa raison.

On doit remarquer ici quelques lettres relatives à une mesure particulière qui intéressait aussi l’Amérique. Parmi les généraux qui s’étaient distingués dans cette contrée, on citait sir Jeffery Amherst. Pour récompense de ses services, le gouvernement de la Virginie lui avait été donné, avec l’assurance qu’il ne serait jamais forcé d’y résider. Cependant la présence d’un gouverneur y semblait nécessaire, quoique la mission ne parût pas égale à l’importance du titulaire. Son titre lui fut donc enlevé et transporté à lord Boutetort, un favori de la cour, endetté, déréglé, qui n’était ni administrateur ni militaire. Cette mesure fut prise avec si peu d’égards pour sir Jeffery Amherst, qu’il s’en montra justement offensé, et se démit du régiment qu’il commandait. À cette occasion, dix lettres au moins, souscrites de pseudonymes différens, parurent où la cause du brave général est plaidée avec beaucoup de chaleur. Ces lettres dénotent une connaissance parfaite de ses services et de ses sentimens, une indignation sympathique qui semble inspirée par l’amitié au moins autant que par la justice, et cet art qui sera bientôt admiré dans Junius, d’exagérer la gravité et d’envenimer les motifs d’une mesure particulière au point d’en faire un crime d’état. Au fond, la mesure avait été prise avec imprévoyance et brusquerie ; le favoritisme y était entré pour quelque chose, et elle blessa lord Chatham, dont elle contribua à déterminer la retraite. L’auteur des lettres où elle est discutée se rendit assurément, dans cette occasion, l’organe intelligent et fidèle du mécontentement d’une partie