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— C’est bon ! dit-il sourdement ; pour lors on attendra, et, quand la mer n’aura pas plus de vagues qu’un marais salant, peut-être que le grand Luc pourra retrouver assez de courage pour prendre l’aviron.

— Ali ! il faudra pourtant que cela finisse ! s’écria Lubert, qui, honteux de sa lâcheté et incapable de la vaincre, s’irritait qu’on la rappelât ; vrai, patron, vous seriez capable de faire enrager un agneau ! On dirait que vous tenez à me voir noyé !

— Tu le serais maintenant sans le traîneur de grèves, fit observer ironiquement Goron, qui sentait par lui-même ce que ce souvenir devait avoir d’humiliant pour le grand Luc.

Celui-ci frappa du pied. — Tonnerre ! je ne parle pas de cela ! reprit-il, et d’ailleurs c’est un service qu’il vous a rendu aussi bien qu’à moi.

Marzou voulut s’entremettre, mais le patron et son matelot étaient trop animés pour accepter sa médiation.

— Remercie le bâtard d’avoir pris ta barque, dit Goron en ricanant ; si tu l’avais conduite, elle serait maintenant au fond de la baie.

— J’aurais du moins pu en acheter une autre, répliqua brutalement Lubert, vu que je ne suis pas un gueux comme il y en a !

— Parles-tu pour moi ? demanda le marin, dont l’œil s’allumait.

— Pour vous moins que pour les autres, objecta Lubert avec un rire grossier, puisque mes écus vont entrer dans votre famille.

Goron, qui s’était rassis au foyer, se leva d’un bond.

— Mille dieux ! pas plus tes écus que toi-même, misérable brute ! s’écria-t-il en éclatant.

— Bien dit, patron ! murmura une voix faible, mais distincte. Goron releva la tête : le visage du mourant s’était retourné vers le foyer ; sa respiration semblait plus libre, et il y avait dans son regard une lucidité singulière. Marzou courut à lui avec une exclamation de joie. — Dieu soit béni ! vous êtes mieux, maître Luz, dit-il en se penchant vers le malade ; ce n’était qu’une crise, et la voilà passée.

Le Béarnais fit un mouvement de paupières, un vague sourire passa sur ses lèvres crispées.

— Prépare toujours le cierge et l’eau bénite, reprit-il de cette voix lente qu’il semblait ménager ; mais, avant d’aller chercher ce qu’on trouve là-bas, j’aurai du moins le contentement de savoir que la Niette n’épouse pas ce sauvage.

— J’aimerais mieux la voir porter au cimetière avec la couronne blanche sur son linceul ! dit le marin, qui lança à Lubert un regard de colère et de dédain.

— Mieux vaut encore la conduire à l’église avec le bouquet argenté[1]), dit Marillas, et cela vous est facile, patron ; car il y a ici un

  1. Le bouquet des mariées est composé de fausses fleurs ornées de feuilles d’argent.