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territoire, le cheval est une nécessité de la vie. Avec son cheval, l’Arabe commerce et voyage; il surveille ses nombreux troupeaux, il brille au combat, aux noces, aux fêtes de ses marabouts; il fait l’amour, il fait la guerre; l’espace n’est plus rien pour lui. Aussi les Arabes du Sahara se livrent-ils encore avec passion à l’élève des chevaux; ils savent ce que vaut le sang, ils soignent leurs croisemens, ils améliorent leurs espèces. L’amour du cheval est passé dans le sang arabe; ce noble animal est le compagnon d’armes et l’ami du chef de la tente, c’est un des serviteurs de la famille; on étudie ses mœurs, ses besoins; on le chante dans les chansons populaires. Chaque jour, dans ces réunions en dehors du douar, où le privilège de la parole est au plus âgé seul, et qui se distinguent par la décence des auditeurs assis en cercle sur le sable ou sur le gazon, les jeunes gens ajoutent à leurs connaissances pratiques les conseils et les traditions des anciens. La religion, la guerre, la chasse, l’amour et les chevaux, sujets inépuisables d’observations, font de ces causeries en plein air de véritables écoles où se forment les guerriers, où ils développent leur intelligence en recueillant une foule de faits, de préceptes, de proverbes et de sentences dont ils ne trouveront que trop l’application dans le cours de la vie pleine de périls qu’ils ont à mener. C’est là qu’ils acquièrent cette expérience hippique que l’on est étonné de trouver chez le dernier cavalier d’une tribu du désert. Il ne sait ni lire ni écrire, et pourtant chaque phrase de sa conversation s’appuiera sur l’autorité des savans commentateurs du Koran ou du prophète lui-même. « Notre seigneur Mohamed a dit; Sidi-Ahmed-ben-Youssef a ajouté; Si-ben-Dyab a raconté.... » Tous ces textes, toutes ces anecdotes, qu’on ne trouve le plus souvent que dans les livres, il les tient, lui, des tolbas ou de ses chefs, qui s’entendent ainsi, sans le savoir, pour développer ou maintenir chez le peuple l’amour du cheval, les préceptes utiles, les saines doctrines ou les meilleures règles hygiéniques. Le tout est bien quelquefois entaché de préjugés grossiers, de superstitions ridicules; c’est une ombre au tableau. Soyons indulgens : il n’y a pas si long-temps qu’en France on proclamait à peu près les mêmes absurdités comme vérités incontestables.

Cherchant à réunir, à coordonner ces préceptes des guerriers arabes sur l’hygiène et l’élève des chevaux, j’ai dû poser quelques questions à l’un des juges les plus compétens en pareille matière. J’avais connu l’émir Abd-el-Kader pendant que j’étais consul de France à Mascara de 1837 à 1839, et je l’avais revu à Toulon, lorsque j’y fus envoyé en mission au moment où il touchait le sol de la France. J’avais pu, dans de nombreux entretiens avec l’émir, apprécier ses connaissances profondes sur tout ce qui touche au sujet spécial qui m’avait toujours occupé depuis mon arrivée en Afrique. C’est à lui que j’ai soumis mes doutes, et une lettre de l’émir datée du 8 novembre 1851 (le 23 de