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Le lendemain, à l’heure désignée, un homme de haute naissance, noble (dged) entre les plus nobles, monte à cheval, se fait suivre de ses femmes portées sur des chameaux, et donne le signal. Tout s’ébranle alors, tout se met en mouvement; l’œil est ébloui par ce pêle-mêle étrange et pittoresque, cette foule bigarrée de chevaux, de guerriers, de chameaux portant les riches palanquins où sont enfermées les femmes. Ici, ce sont les fantassins qui font bande à part: là, les cavaliers qui surveillent la marche des femmes; d’autres plus ardens, plus insoucieux, sont partis en avant ou s’éparpillent sur les flancs, moins en éclaireurs qu’en chasseurs, Ils forcent avec leurs lévriers la gazelle, le lièvre, l’antilope, ou l’autruche. Les chefs sont plus graves; sur eux pèse la responsabilité : c’est à eux que reviendra la plus grosse part du butin, si l’expédition réussit; mais si c’est un revers, à eux les imprécations, la ruine et la honte. Ils se concertent et méditent.

Puis viennent les chameaux qui portent les provisions.

Tout cela se conforme aux exigences du terrain, tout cela, désordonné, bruyant et joyeux, songe à l’aventure, non à la fatigue, à la gloire, non aux périls; les guerriers célèbrent leurs exploits de tous genres; les joueurs de flûte les accompagnent, les animent ou les interrompent; les femmes poussent des cris de joie; ces bruits sont dominés par les enivrans éclats de la poudre.

Au bout de quelques heures, la chaleur se fait sentir; on fait une halte (meguil), on dresse les tentes, on prépare le déjeuner, on débride les chevaux, on les fait paître; c’est le repos.

Le soleil baisse, la chaleur s’adoucit; il est deux ou trois heures de l’après-midi. En marche ! en avant! vous autres les hardis cavaliers ! Faites voir dans une brillante fantasia ce que sont vos chevaux et ce que vous êtes vous-mêmes. Les femmes vous regardent; montrez-leur ce que vous savez faire d’un cheval et d’un fusil. Allez! plus d’un sera payé de ses prouesses. Voyez-vous ce nègre! il apporte à quelqu’un d’entre vous le prix de son habileté à manier un cheval ou à se servir d’un fusil; c’est le messager auquel une des belles spectatrices a confié son amour; elle l’a chargé de porter au héros de la fantasia ses bracelets de pied (khrolkhral) ou son collier de clous de girofle (mekhranga). Il ne suffit pas cependant d’être un brave et adroit cavalier; il faut être prudent. — Tu as un ami, demain tu lui donneras ton cheval et tes vêtemens; recommande-lui bien, ta sœur[1] le veut, de se montrer au milieu du goum avec ta monture et vêtu comme toi, que tous les cavaliers s’y trompent. Toi, tu passeras inaperçu, modeste fantassin; tu marcheras près de la chamelle qui porte ta nouvelle maîtresse-Sois

  1. Ta sœur le veut. — Sœur, dans cette circonstance, veut dire maîtresse, amante.