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On voit quelle place tient le cheval dans la société arabe; il faut se demander maintenant quelle carrière notre domination ouvre en Afrique à la race chevaline. Aujourd’hui, tout ce qui appartient à une terre où notre drapeau a flotté doit être envisagé sous un rapport nouveau, celui de notre intérêt national. Dans le pays par excellence de la vie équestre, il faut que le cheval devienne notre instrument, qu’il passe du service arabe au service français, et que ce ne soit pas seulement notre colonie, mais notre patrie elle-même qui profite de cette précieuse conquête.

Le cheval originaire de nos possessions africaines appartient à la race barbe. Le cheval barbe était celui que montaient ces intrépides cavaliers qui furent pour les Romains de si rudes adversaires; s’il n’a pas les contours arrondis, l’harmonieuse beauté, l’élégance plastique du cheval arabe, on peut dire que ses lignes arrêtées et vigoureuses révèlent d’incontestables qualités. Il y a entre le barbe et l’arabe la différence qui sépare un verre taillé dans le cristal par la main humaine d’un verre coulé dans un moule. L’un a des formes abruptes, tandis que les formes de l’autre offrent un fini, un poli, une perfection, qui ne laissent rien à désirer à l’œil; mais tous deux sont de merveilleux chevaux de guerre. Le cheval barbe mérite encore mieux peut-être que le cheval arabe qu’on lui applique ces fières et concises paroles d’un chant populaire parmi les tribus indigènes : Il peut la faim, il peut la soif. Les expéditions d’Annibal en Italie, où la cavalerie numide fit si bien contre la cavalerie romaine, prouvent qu’il n’a pas besoin du ciel sous lequel il est né pour développer toute sa vigueur. Les conquêtes faites par les disciples de Mahomet ont régénéré, bien loin de l’affaiblir, le sang qui coule dans ses veines. La race chevaline, telle qu’elle existe aujourd’hui en Afrique, offre un heureux mélange de tous les dons qui sont l’apanage du cheval dans les pays de vastes espaces et d’ardent soleil.

Toutefois, les destinées de cette noble et utile race ont failli être un. instant compromises par la guerre, qui, après la prise d’Alger, a sévi sans interruption et avec tant de violence sur tous les points de l’Afrique. Les chevaux devenaient rares en Algérie, et leur sang avait quelque chose d’appauvri. Puis les Arabes croyaient commettre une offense envers la loi musulmane en amenant sur les marchés chrétiens l’animal dont le prophète lui-même a recommandé l’amour et le respect. Aujourd’hui, les maux de la guerre se réparent, et le préjugé religieux s’affaiblit. Les indigènes prennent l’habitude de sacrifier leur fanatisme de sectaires à leur instinct de trafiquans; on voit nombre d’entre eux échanger contre notre argent quelques-uns de leurs coursiers d’élite. Le cheval européen a disparu de notre armée d’Afrique, dont il