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Nous traçons avec quelque détail ce tableau des choses et des hommes du petit royaume de Hanovre ; nous nous sommes arrêtés volontiers devant cette figure caractérisée du roi défunt ; c’est une figure naturelle et vraie. Il était fort simple qu’elle ne plût pas à tout le monde : si amoureux de despotisme que soient à cette heure nos bourgeois français, nous doutons même qu’ils s’accommodassent long-temps d’allures pareilles à celles qu’avait souvent le feu roi Ernest ; mais, faite comme elle était, cette personne originale était du moins tout d’une pièce, sans masque, et pour ainsi parler sans placage. Ces physionomies sincères deviennent de plus en plus rares de nos jours ; l’histoire du monde se remplit d’acteurs qui jouent un rôle de convention en se dupant eux-mêmes par leur propre vanité presque aussi complètement qu’ils voudraient duper les autres par leur fantasmagorie. L’histoire touche ainsi, en mille endroits, au mélodrame, parce que ses modernes héros faussent les situations les plus réelles à force, de systématiser, de dramatiser leur personnage. Voyez M. Kossuth tel qu’il apparaît définitivement à l’Europe, au moment d’aller exécuter en Amérique une représentation nouvelle. Est-il maintenant une figure plus mélodramatique et plus fausse ? Tout son talent, son imagination, sa souplesse, son éloquence, n’ont abouti qu’à laisser chez ses plus chauds admirateurs, quoi ? une sympathie plus vive pour la Hongrie, pour l’indépendance constitutionnelle et nationale des Magyars ? non, si l’on est franc, mais une sorte d’enthousiasme de dilettante pour la verve de l’orateur qui vocalisait si merveilleusement sur tous les tons. M. Kossuth a déconcerté sans relâche ceux qui ont eu la prétention de le mettre d’accord avec lui-même pour faire de ce patriote quelqu’un de plus grave qu’un artiste politique. Il s’est promené trop long-temps en Angleterre et a pris l’un après l’autre trop de visages différens pour être bien vrai sous aucun d’eux, ou, pour mieux dire, il s’est rabattu au seul rôle dont on puisse toujours se tirer avec des phrases : il était arrivé à Southampton en personnage constitutionnel, il en est reparti en tribun radical.

Venons à nos nouvelles de Chine. On s’occupe toujours à Canton des troubles du Kwang-si. On assure que la bande de brigands qui désolait cette province a pris des proportions formidables. Ces insurgés auraient, dit-on, saccagé la ville de Kwei-lin-fou, capitale de la province. Le gouverneur général Seu était parti pour essayer, en intervenant de sa personne auprès des rebelles, d’arriver enfin à quelques résultats. Seu n’est pas un grand général, mais c’est un habile homme. Chinois jusqu’au bout des ongles, et très bien fait pour venir à bout de ses compatriotes sans avoir le chagrin de les combattre. On a beaucoup ri, à Hong-kong et à Canton, de la simplicité des journaux anglais, qui ont transformé en mandarin du Céleste Empire un couli ou artisan embarqué sur la jonque le Ki-ing. Le mandarin Hising, ce parfait gentleman chinois, cet illustre étranger présenté à la reine et au duc de Wellington comme le délégué de l’empire du Milieu, et supportant son rôle avec un si complet sang-froid, avec une sérénité si narquoise, ce mandarin improvisé aura du moins prouvé quelque chose : c’est que l’Angleterre, à compter les ministres et les membres du parlement aussi bien que les cockneys de Londres, ne connaît pas plus la Chine que la Chine ne connaît l’Angleterre. Les progrès des missions françaises dans cet extrême Orient sont toujours