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imposer comme un supérieur, et son dédain croît avec la grandeur de ce qu’il méprise. Il fait sentir à ceux qu’il aime qu’il peut les protéger. On dirait qu’il n’a besoin de personne. Sa fortune le met au-dessus de toute vue intéressée. Il traite les questions d’argent avec l’indifférence facile d’un homme accoutumé à les négliger. Whig déclaré, il est plus vif dans ses sentimens que dans ses opinions, plus intolérant pour les personnes que pour les choses. Il a admiré le grand ministère de lord Chatham, mais cependant il règle plutôt sa politique sur celle de George Grenville. Ses haines sont violentes et profondes ; son humeur irritable, fière, emportée. Il n’est froid et réfléchi que dans la recherche des moyens de satisfaire son inimitié. Il juge les hommes d’après les principes absolus d’une morale austère, d’une inflexible probité. Il ne ménage rien, excepté le secret du rôle redoutable qu’il s’est donné, et sa hardiesse n’a d’autre limite que le soin de cacher ses coups.

Maintenant, ces données acceptées, qui est Junius ? Le docteur Good nous a plutôt dit qui Junius n’était pas. Il y a bien un seul des prétendans, comme nous le verrons plus tard, dont il réfute les partisans avec une brièveté négligente qui semble déceler une faible conviction ; mais en tout, comme les Woodfall dont il passe pour avoir été l’interprète, il évite de certaines déclarations auxquelles on devrait s’attendre. Ces éditeurs n’ont jamais l’air de tout dire ; d’autres écrivains, au contraire, en disent plus qu’ils n’en savent, et s’amusent à des hypothèses. Charles Butler, auteur estimé, connu surtout par l’ouvrage qu’il a intitulé Réminiscences ; le docteur Parr, philologue et critique distingué ; un éditeur de Junius, caché sous le pseudonyme d’Atticus Secundus ; John Taylor, dans deux ouvrages spéciaux de 1816 et de 1 8 17 ; George Coventry, dans des recherches imprimées en 1822 ; Henri Barker, dans ses lettres publiées en 1828, se sont exercés sur un sujet qui avait occupé Burke, Wilkes, Johnson. On ferait une bibliothèque des Junius démasqué, identifié, dévoilé, et des dissertations et même des livres écrits sur ce que Wilkes appelait le plus important secret de son temps.

Nous avons lu plusieurs de ces compositions, qui toutes excitent la curiosité, dont aucune ne la satisfait. Comme elles se réfutent les unes les autres, il suffit d’en connaître quelques-unes pour les connaître à peu près toutes. Nous partons, nous, de l’édition de 1813 et de l’essai du docteur Good ; ensuite nous plaçons un article de lord Brougham, où sont supérieurement analysés les deux ouvrages de Taylor ; puis, en tenant compte d’un autre article inséré par Foster dans la Revue éclectique, nous terminons par la comparaison de l’ouvrage intitulé Histoire de Junius et de ses écrits, par John Jaques, avec l’édition de Junius donnée en 1850 par M. Wade, et enrichie de préfaces, de notes et d’une histoire de la découverte de l’auteur.