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puisque l’avantage que l’individu retirerait de la liberté du travail ne résulterait d’aucune atteinte à la liberté du prochain, d’aucune infraction à la justice. C’est quand une pratique donne du profit à l’un en foulant au pied les droits de l’autre, c’est seulement alors qu’avantageuse à l’individu ou à une fraction de la société, elle peut être nuisible au corps social dans son ensemble ; mais la liberté du travail n’aurait pas ce caractère ; ce ne serait que le retour aux notions de la justice et de la liberté telles que nous les avons appris depuis la grande époque de 1789. Et quel est donc le membre de la société qui oserait dire qu’il a des intérêts qui ne s’accommodent pas de la liberté et de la justice ? Les protectionistes cependant soutiennent que leur système, contraire aux droits les plus respectables de l’individu, est d’utilité publique. C’est un raisonnement du genre de celui de ce marchand qui disait à la foule qu’à chacun en particulier il livrait ses marchandises à perte, mais qu’il se rattrapait sur la quantité. La protection, suivant eux, garantit l’existence même de la nation, car elle lui assure du travail. Sans la protection, la France serait forcée de fermer ses ateliers ; donc, le système protecteur est de salut public. — La nation française travaillait, ce semble, avant le système protecteur et notre industrie n’est pas universellement en arrière comme on le prétend pour le besoin de la cause protectioniste, car il est un grand nombre d’articles, de ceux mêmes que le tarif affecte de protéger le plus, que nous exportons avec bénéfice, en grande quantité, dans des contrées où ils rencontrent la concurrence de l’Angleterre, celle que les protectionistes redoutent le plus. Ainsi les toiles peintes, ainsi les bronzes, ainsi vingt tissus divers de laine, les mérinos, par exemple, ou nous excellons, ainsi les fils de la même substance, ainsi les glaces et les meubles, les machines même ; et la liste serait bien plus longue, si les matières premières n’étaient artificiellement enchéries par le système protecteur. La protection a imprimé à l’activité nationale une direction autre que celle qu’elle eût suivie ; si on nous eût laissé la liberté ; mais, quoiqu’elle ait donné lieu à l’ouverture de beaucoup d’ateliers, elle n’ajoute par elle-même rien, absolument rien, à la somme des labeurs utiles de la nation : Et, en effet, toute industrie, quelle qu’elle soit, exige deux sortes d’agens, des bras et des capitaux. Quand, par des moyens artificiels, on rend une industrie plus lucrative que d’autres, alléchés par cet appât, des capitaux qui s’employaient ailleurs se tournent vers cette destination nouvelle et y attirent une proportion correspondante de bras, auparavant aussi occupés autre part. La société a acquis le travail qui s’accomplit dans les nouveaux ateliers, mais elle a perdu celui auquel servaient et auraient servi les bras et les capitaux ainsi détournés. C’est un changement et non une création de travail, et si le changement n’a été provoqué que par le