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convention et le directoire, c’est Napoléon qui procède grandement en fait de prohibition comme en toute chose. Le 22 février 1806, il rend le décret qui prohibe l’importation des toiles de coton blanches ou peinte, mousselines et cotons filés pour mèches : c’était à l’adresse des Anglais, qui n’y étaient pas nommés cependant ; mais ce fut suivi de près par le fameux décret de Berlin (10 novembre 1806), qui déclare les Ile britanniques en état de blocus, et par le décret non moins célèbre de Milan (17 décembre 1807), contenant de nouvelles mesures contre le système maritime de l’Angleterre[1]. Là dessus vinrent se greffer des clauses destinées à renforcer le blocus continental. L’empereur, pour atteindre plus sûrement les Anglais dans leur commerce qui les soutenait, avait formé le téméraire dessein de contraindre l’Europe à se passer des autres parties du monde. Louis XIV avait dit : « Il n’y a plus de Pyrénées, » Dans un sens opposé, Napoléon décrétait : « Il n’y a plus d’Amérique ni d’Asie : Christophe Colomb et Vasco de Gama n’ont pas existé. » On n’aurait plus fait usage des denrées coloniales. On se serait déshabitué du café et du chocolat. Le sucre aurait été tiré du raisin et de la betterave. Le coton, que les Anglais travaillaient avec une grande supériorité, eût été répudié par les continentaux pour leurs propres textiles, le chanvre, le lin, la soie ; l’indigo eût cédé la place au pastel, la cochenille à des compositions chimiques. Tout cela fut sérieusement projeté et ordonné par cet homme puissant, devant lequel le monde se taisait[2].

  1. Les mots soulignés ici sont les titres officiels des décrets tels qu’ils sont consignés au Bulletin des lois.
  2. Le décret da 4 mars 1806 établissait les droits suivans par 100 kilog. : cacao, 200 fr. ; celui des colonies françaises qui ne sortait plus, 175 fr. ; café, 150 fr. ; celui des colonies françaises, 125 fr. poivre, 150 fr. celui des colonies françaises, 135 fr. Le sucre était ménagé encore ; mais, le 5 août 1810, il fut englobé dans un système de rigueurs dont l’objet évident était de forcer, sans ménagement, le continent européen à se suffire de tout à lui même. Les droits sur les denrées dites coloniales et sur les cotons et bois du nouveau continent devinrent monstrueux. Sur les cotons d’Amérique les droits étaient portés à 600 et à 800 fr. par 100 kilog. (aujourd’hui 20 fr.) ; le sucre brut était taxé à 300 fr. (aujourd’hui 45 fr.) ; le thé hyswin à 900 fr. le thé vert à 600 (aujourd’hui 150 fr.) ; le café à 400, (aujourd’hui 50. fr.) ; le cacao à 1,000 fr (aujourd’hui 40 fr.), le poivre à 400. fr. (aujourd’hui 40 fr.) ; la cannelle à 1,400 et à 2,000 fr. (aujourd’hui 33fr.) ; l’indigo à 900 fr. (aujourd’hui, 50 fr.) ; la cochenille à 2,000 fr. (aujourd’hui 75 fr.) ; le bois d’acajou à 50 fr. (aujourd’hui 10.fr.) ; le bois de Fernambouc à 120 francs (aujourd’hui 5 fr.), et le bois de campêche à 80 fr. (aujourd’hui 1 fr. 50 c.). Ces droits extravagans étaient encore grossis du décime dit de guerre, qui, institué en l’an VII, subsiste aujourd’hui.