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qu’on ne voulait pas de l’union avec la Belgique. On leur montra qu’on disposait de la majorité dans la chambre, et le ministère, qui avait de grands embarras au dedans, qui au dehors était encore mal à de l’aise dans le concert européen où il venait de rentrer cependant avec honneur, jugea à propos de céder. Cette violence, faite au gouvernement de juillet, est le plus grand affront qu’il ait essuyé. Et cet outrage lui était infligé par des hommes qui se donnaient pour les amis, les soutiens, presque les preux de la dynastie nouvelle ! On ne trouverait pas dans nos quatorze siècles d’histoire un autre exemple de particuliers entreprenant ouvertement pour la satisfaction de leurs intérêts mercantiles, de contraindre le gouvernement à abandonner un grand dessein politique et y réussissant ! Les voix qui dénoncèrent alors cette indignité furent sans écho. L’opposition elle-même ne trouva pas un mot à dire. À quel niveau était donc tombé le patriotisme en France !

Après qu’ils furent parvenus à leurs fins, à la faveur de l’émeute parlementaire qu’ils avaient organisée, les protectionistes gardèrent une attitude menaçante. Ce ne furent plus des solliciteurs plus ou moins importuns, ce fut une faction exerçant l’intimidation dans l’état. Il ne s’agit plus de ménagemens et d’attermoiemens ; on était le maître de céans, on fortifiait sa domination et on prenait plaisir à la constater de la manière la plus éclatante. Il semblait qu’un nouveau droit divin eût succédé à celui que s’étaient attribué les rois. Les meneurs renouvelèrent la démonstration de leur autorité avec un nouveau degré de scandale en 1845, à l’occasion d’un projet de loi dont un des principaux articles concernait les graines oléagineuses. Ils obligèrent le ministère à voter publiquement contre le projet ministériel, en faveur d’un amendement[1] qui augmentait démesurément les droits sur le sésame. Quelque temps après, le gouvernement avait posé les bases d’un traité de commerce avantageux avec la Suède et la Norvège. Le cabinet de Stockholm consentait à diminuer les droits dont sont grevées, dans les royaumes scandinaves, plusieurs des productions de l’industrie française. En retour nous aurions admis sans droits les fers de Suède, sous la réserve qu’ils auraient eu la destination spéciale de servir aux fabriques d’acier. C’était tout profit pour nous. Les ministres furent charitablement avertis par le comité directeur que toucher à la législation sur les fers, c’était porter la main sur l’arche sainte, et qu’ils eussent à garder leur projet en portefeuille, ce qui fut fait. Cette fois, au moins, on ménageait la pudeur du gouvernement ; on ne le fustigeait pas en public ; mais, comme si l’apparence même du respect des convenances eût pesé aux meneurs, presque aussitôt

  1. L’amendement Darblay.