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— Combien avez-vous de soldats sous vos ordres ? me demanda-t-il.

— Cent à peu près, résolus à boire ou à mourir.

À cette nouvelle, je vis les yeux de l’officier étinceler d’une joie presque féroce.

— Vous avez bien soif aussi ? repris-je.

— Soif de vengeance ! répondit l’officier, et voilà pourquoi, malgré la destruction presque totale de mon détachement, j’erre le jour et la nuit dans ces environs pour trouver l’occasion de me venger.

— De quoi donc, colonel ?

— D’un outrage auquel je ne survivrai pas, si je ne le lave dans le sang, ou si du moins je ne rends pas honte pour honte. J’ai là environ encore cinquante hommes, reprit le colonel, qui paraissait ne pas vouloir s’expliquer davantage, et je vais les joindre aux vôtres.

J’indiquai au colonel l’endroit où il nous trouverait, et je m’empressai de rejoindre ma troupe, qui m’attendait avec impatience. J’avais à peine raconté à Valdivia mon aventure, que le colonel Garduño nous rejoignit avec cinquante hommes, comme il l’avait annoncé. Nous apprîmes de lui qu’il avait déjà infructueusement attaqué l’hacienda la veille, et qu’il avait été repoussé avec une perte considérable. Nous nous mîmes alors à délibérer, et le colonel soumit à un sévère interrogatoire le prisonnier espagnol. Il donna ensuite l’ordre de la marche, et, quand nous fûmes près de l’hacienda :

— Pensez-vous, dit-il à l’Espagnol, qu’il y ait une sentinelle dans le clocher ?

— Il y en a toujours une la nuit, répondit le captif ; mais vous avez la chance qu’elle soit endormie à son poste, où personne ne peut la surveiller.

Au moment où l’Espagnol parlait, les cris de : — Alerta centinela ! retentirent tout autour de l’hacienda ; c’étaient les factionnaires qui s’avertissaient. Nous suivîmes avec attention les diverses voix qui se répondaient et mouraient au loin. Aucun son ne sortit de la cage de pierre du clocher. La sentinelle était donc endormie.

— Ah ! si nous avions une seule pièce de canon ! s’écria Valdivia ; pendant que cinquante hommes escaladeraient à l’aide de leur lazas les terrasses de ce bâtiment, nous battrions la porte en brèche, et nous prendrions entre deux feux ces chiens de Gachupines[1].

— Nous avons laissé un canon sous des buissons non loin d’ici, dit le colonel ; mais il ne peut servir, ses affûts sont brisés : c’est un morceau de cuivre inutile.

— Avez-vous des munitions ? demandai-je à mon tour.

  1. Gachupines, hommes qui portent des souliers ; c’est le nom que les Indiens donnèrent aux premiers conquérans espagnols.