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notre droit public ; tel qu’il est et tel qu’il restera, la prime que reçoivent les industries protégées est une charité ou une exaction.

Voilà donc le caractère que désormais doit avoir dans nos lois la protection : c’est une taxe des pauvres. De cette manière, nous avons d’autres précédens pour nous éclairer sur la manière de procéder, et ce qui s’est passé en Angleterre relativement à la taxe des pauvres doit répandre des lumières sur notre sujet. Avant 1834, le régime de la taxe des pauvres chez nos voisins, donnait lieu à beaucoup d’abus. Il oblitérait parmi les pauvres le sens de la responsabilité. Les vrais amis des classes pauvres, s’en plaignaient énergiquement, non moins que les financiers du parlement. En 1834 donc, au nom de la morale publique autant que dans l’intérêt de ses finances, l’Angleterre refondit sa législation des pauvres. Elle adopta un système de secours qui rappelle sans cesse à l’individu secouru la nécessité de se suffire à lui-même et réveille en lui le sentiment de la responsabilité. La protection, chez nous, doit être administrée dans le même esprit. Dès lors aussi les industries effectivement protégées auront à observer la tenue qui convient à leur position. Le comité directeur des protectionistes renoncera à dicter des lois ; il comprendra qu’il lui appartient d’en recevoir. Les pauvres de l’Angleterre ne parlent pas avec arrogance aux pouvoirs de l’état ; ils ne sont pas, dans le parlement, rapporteurs des lois sur le paupérisme ; ils n’essaient pas d’intimider ceux qui revendiquent le droit qu’a la société de ne payer de subside que ce que, dans sa charité, elle juge convenable ; dans les conseils industriels que le gouvernement rassemble, ils ne font pas voter des déclarations portant que la science économique soit tenue d’enseigner l’excellence du paupérisme[1]. Non ; ils sont modestes et soumis. C’est l’attitude qu’ont à 3renclre chez nous les personnes auxquelles la protection profite.

Voici, sous un autre aspect pratique, le motif qu’on a pour ne marcher à la liberté du commerce que par degrés. Le changement qu’ont à subir, pour atteindre le niveau des autres, ceux des établissemens arriérés qui peuvent se maintenir, exige, à peu près dans tous les cas, un certain capital de plus. La France, en temps régulier, forme tous les ans une certaine masse de capital, et le capital français s’accroît plus qu’en proportion de la population. Cet accroissement est pourtant borné ; et, dans notre réforme commerciale, nous devons avoir égard à cette circonstance. Malheureusement, depuis 1848, la formation du capital est ralentie. L’année même 1848 fut marquée par une grande

  1. Chez nous, des personnes très connues pour retirer un grand bénéfice du système protecteur sont parvenues en 1850, dans le conseil général de l’agriculture, des manufactures et du commerce, à faire passer un vote ainsi conçu : « Que l’économie politique soit enseignée par les professeurs rétribués par le gouvernement, non pas au point de théorique du libre échange, mais aussi et surtout au point de vue des faits et de la législation qui régit l’industrie française. » (c’est-à-dire au point de vue du système protecteur).