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s’avancent ainsi, avec une escorte d’officiers, traversant tous ces respects. Chacun est fier de les avoir honorés et s’incline, car il voit derrière ce cortège de gloire s’avancer le cortége de ceux qui sont morts à la même journée, à la même heure, et dans ces débris de tant d’hommes les héritiers du sang versé. Deux heures après, la ville avait repris son repos, mais la fête continuait, dans la famille, au sein des régimens.

Le même jour ; à midi, cinq cents cavaliers de la tribu des Douairs et des Smélas étaient à cheval, et suivaient le général de Lamoricière qui allait à la rencontre du maréchal Bugeaud. Toute la troupe bruyante marchait sur une ligne droite, faisant caracoler ses chevaux, brûlant de temps à autre la poudre de réjouissance, lorsque les coureurs annoncèrent que le maréchal était proche. Les cavaliers s’arrêtèrent aussitôt, et, formant le demi-cercle, se tinrent immobiles, haut le fusil, pour faire honneur au gouverneur du pays. Le général de Lamoricière et le maréchal s’abordèrent très froidement. Chacun avait sur le cœur des querelles de systèmes de colonisation, et il paraît qu’entre hommes d’état ; ces querelles sont aussi graves que les rivalités de coquettes entre femmes. Le maréchal était venu de Mostaganem dans un petit char-à-bancs ; il offrit à ses côtés, d’assez mauvaise grace, une place au général Lamoricière, et la carriole qui portait les puissans de l’Afrique se remit en marche au milieu d’un tourbillon d’hommes, de chevaux, de poussière et de poudre dont les Arabes, suivant le vieil usage, balayaient la route.

Le lendemain, les réceptions officielles commencèrent. Le vieux maréchal était debout dans cette grande salle mauresque du Château-Neuf, dont les arceaux de marbre sculpté portent encore le croissant de la domination turque : — derrière lui, ses officiers, état-major de guerre que l’on sent toujours prêt à sauter à cheval et à courir au péril ; à sa droite, tous les corps de l’armée, l’infanterie, si laborieuse, si tenace et si utile ; la cavalerie, dont le bruit du sabre frappant les dalles résonne comme un lointain écho du bruit de la charge ; à sa gauche, les gens de grande tente des Douairs et des Smélas, revêtus du burnous blanc sur lequel brillait pour plusieurs ce ruban rouge que les services rendus ou les blessures reçues pour notre cause avaient fait attacher à leur poitrine. Leur attitude pleine de dignité, les longs plis de leurs vêtemens tombant jusqu’à terre, leur regard limpide et brillant comme le diamant, ce regard dont les races d’Orient ont le privilège, rappelaient les scènes de la Bible ; et le vieux chef français, salué avec respect comme homme et comme le premier de tous, semblait le lien puissant qui devait cimenter l’union des deux peuples. Ce fut ainsi entouré que le maréchal Bugeaud reçut les onze prisonniers de Sidi-Brahim et qu’on le vit, faisant les premiers pas,