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que tu serais un bien grand nigaud si tu faisais pareille sottise. — Ce raisonnement rassurait notre homme et le faisait passer sans sourciller aux endroits les plus dangereux. Malgré le vent, le froid, la pluie et le brouillard, nous franchîmes sans encombre les passages difficiles, et, dès que nous eûmes traversé les ruines romaines qui commandent les gorges, la route commença à descendre jusqu’au plateau de Bel-Abbès.

Quand votre voix s’élève à ce passage, vous l’entendez courir de montagne en montagne ; à droite, à gauche, devant, derrière, le son est répété par mille voix diverses. Si vous questionnez l’Arabe, votre compagnon de route, il vous dira seulement : Ireud el chitan (le diable répond) ; l’endroit est maudits mais le taleb (savant) fera ce récit à voix basse : — Lorsque la lumière vint de la Mecque, portée par les messagers de la foi, les adorateurs de Sidna-Aïssa, (Jésus-Christ) fermèrent les yeux à la vérité et refusèrent de témoigner. Alors ils se retirèrent dans les forteresses du Tessalah avec leurs femmes, leurs enfans, leurs richesses, croyant que le flot allait poursuivre son cours ; mais ceux qui avaient la parole sainte ne s’avançaient que lorsque tous les fronts s’étaient inclinés, que toutes les bouches avaient répété : Il n’y a d’autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète. Les croyans se réunirent donc et vinrent assiéger les dédaigneux du bien. Comme le ciel était pour eux, Dieu ferma la porte des eaux, et, durant une année entière, les nuages qui passaient ne laissèrent point tomber la pluie sur le Tessalah. La provision d’eau des baptisés s’épuisa, la soif les saisit derrière leurs grandes murailles ; mais, plus durs que la pierre, ces esclaves du démon préférèrent la mort au témoignage, et tous périrent. Ce qui est écrit est écrit, les oiseaux du ciel dispersèrent leur chair dans tout le pays ; pourtant leurs ames parcourent encore ces collines et ces montagnes, et c’est pour effrayer les voyageurs qu’ils répètent ainsi leurs moindres paroles. Les traditions qui courent le pays sur les chrétiens se terminent toutes de même, par un récit d’extermination, et, dans le nord de l’Afrique, l’on ne cite qu’une seule tribu où se soient conservés des signes extérieurs du christianisme. En passant dans des endroits réputés dangereux, certains Kabyles des montagnes aux environs de Bougie font encore le signe de la croix.

À quelque distance des ruines romaines voisines de Bel-Abbès, les goums de ce poste nous attendaient. Comme la pluie, continuait à tomber à torrens, dès que le terrain le permit, nous partîmes au grand trot, et, sur les cinq heures, nos chevaux étaient attachés à la corde dans le camp formé par les deux bataillons de la légion étrangère qui bivouaquaient auprès de Bel-Abbès.

Situé derrière la première chaîne de montagnes à dix-huit lieues au