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sultan furent repoussées avec dédain. Furieux de se voir ainsi traité, — car, s’il était tout-puissant pour la vengeance, il ne pouvait, comme les démons ses alliés, se faire aimer à son gré, et c’était là son châtiment, — le roi jura de se rassasier des larmes de celle qui lui refusait un sourire. Un soir donc que la jeune fille, se glissant hors du douar, était allée rejoindre sous les palmiers celui qu’elle aimait, le sultan appela à son aide le lapidé. À son ordre, le démon se saisit des deux jeunes gens, les entraîna dans la terre, et au même instant le pays entier changea d’aspect : on le nommait la vallée des fleurs, elles disparurent de la terre, et le sombre feuillage des oliviers couvrit les collines. Les palmiers seuls sous lesquels la jeune fille s’était retirée restèrent debout, témoins de la vengeance ; car à leur pied, à la place où elle fut engloutie, jaillit aussitôt la source merveilleuse ; et cette source n’est autre que les larmes que ces deux infortunés versent nuit et jour dans les entrailles de la terre, où les retiennent les sortilèges infernaux du maudit.

Le poste français de Lèla-Marghnia, où nous arrivâmes le soir, est bâti à un quart de lieue de la frontière, et une plaine de six lieues le sépare de la ville marocaine d’Ouchda. C’est dans cette plaine immense, traversée par l’Oued-Isly, que les tourbillons marocains furent brisés par nos bataillons, lorsqu’ils eurent, sous les ordres du maréchal Bugeaud ces glorieuses rencontres où le sang-froid discipliné l’emporta sur ces masses plus serrées que les nuées de sauterelles. Époque glorieuse pour le drapeau de la France, car je vous jure qu’un mois plus tard, sur toute la côte marocaine, le pavillon aux trois couleurs, que venaient d’appuyer les boulets de l’amiral prince de Joinville, était salué avec crainte par tous ces barbares ! Le pinceau guerrier d’Horace Vernet a fixé sur la toile ces scènes de combat, ou plutôt il a montré la fête après la bataille. Dans l’angle du tableau seulement un bataillon de chasseurs s’élance en sonnant la charge, son commandant en tête. Il semble déjà courir à la mort qui l’attendait tout entier, un an plus tard, au marabout de Sidi-Brahim.

Lorsque la colonne du général Cavaignac parcourut pour la première fois ce pays, trois mois après l’engagement, les ossemens répandus sur le sol racontaient les différentes phases de la lutte. — La charge a commencé en cet endroit. — Elle s’est arrêtée là. — Voici le dernier cadavre. — Plus loin, ils se sont formés en carré, la terre en porte les marques. — Et tous ces os déjà blanchis furent réunis, et la colonne défila devant eux en portant les armes, solennel hommage rendu par ceux qui marchaient au danger à ceux qui étaient morts au combat ! — Huit jours après, deux bataillons d’infanterie et le régiment de chasseurs à cheval du colonel de Cotte venaient pour rapporter à Djema ce qui restait de tant d’hommes. L’abbé Suchet les accompagnait et le sacrifice de la religion s’accomplit sous la voûte du ciel,