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ne possédât la tradition zingara dans ce qu’elle a de plus mystérieux. Il établissait sa compétence parfaite sobre las cosas de Egypto par les rapprochemens ingénieux qu’il faisait entre les tribus ziganes errantes sur les steppes russes, les gitanos qu’il avait découverts et hantés dans le faubourgs de Badajoz, et les gypsies qui essaiment autour du turf de Newmarket. Or, ce n’est pas là une science vulgaire. On ne l’achète pas, toute digérée, de quelque professeur à cachets. On la chercherait en vain, on l’aurait du moins vainement cherchée autrefois, dans la calme et vénérable poussière des bibliothèques. Elle s’y fait jour maintenant, grace à Borrow ; mais, lui, c’est aux sources mêmes qu’il l’avait puisée. Cette chanson qu’il donnait textuelle, il l’avait entendue improviser sur la guitare par un maquignon poète, à la porte de quelque venta. S’il nous révélait les mystères du hokkano baro (la magie blanche) et des vols qu’il aide à commettre, c’est qu’ils lui avaient été dévoilés dans les tertulias religieuses qu’il avait organisées à Madrid, et que fréquentait assidument la Pepa, sorcière équivoque, avec ses deux filles la Borgnesse et le Scorpion (la Puerta et la Cadasmi), deux beautés difficiles à convertir. Ne se crée pas qui veut des relations aussi distinguées. De même pour les calos, les gentlemen bohèmes, qu’il fallait aller quérir dans leurs repaires ténébreux, dans les cachimanis (cabarets) où ils se rassemblent, fort peu empressés, et pour cause, d’y admettre de nouveaux venus. S’ils eussent pensé que l’évangélique agent fût ce qu’ils appellent un sang-blanc, un vil busno (chrétien). Dieu sait quel mauvais parti ces braves gens pouvaient lui faire ! Heureusement, les plus honnêtes d’entre les calos soupçonnaient, tout uniment le voyageur inconnu de mettre en circulation des onces de mauvais aloi : c’était un titre à leurs égards.

Il y a trois portions bien distinctes dans le premier ouvrage de George Borrow un essai historique sur l’origine des peuplades bohèmes ; un traité du dialecte rommany et de la poésie des gitanos, avec vocabulaire à l’appui ; enfin un aperçu, mais très succinct et très peu complet, des aventures de l’auteur. Ce fut pourtant à cette dernière portion du livre que l’attention publique s’attacha. Ne nous en étonnons point. Plus nous allons, plus le passé semble perdre de son intérêt, plus la curiosité se prend aux choses contemporaines. Autre symptôme : plus la civilisation se perfectionne, plus elle semblerait devoir mettre en circulation des idées générales, et plus, au contraire, se développe le goût des analyses spéciales, des études individuelles. L’universelle tendance était autrefois de résumer en traités, en maximes, des milliers d’observations particulières. Aujourd’hui chaque être est étudié séparément : on l’isole pour le mieux connaître ; on l’accepte, on le demande tout entier et dans tous ses détails. Romans, biographies, mémoires, ont pour mission de tout révéler, de ne laisser dans l’ombre