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œuvres, lésé dans sa liberté de conscience, souffrant pour la foi de ses pères. Son affaire prit aussitôt les proportions d’un casus belli, et le juge d’instruction, docile aux injonctions ministérielles, ne fit comparaître devant lui « l’honorable don Jorge » que pour l’engager à rentrer chez lui sans bruit, sans scandale, sans aucune suite donnée à ce qu’il appelait « une sotte affaire ; » mais un tel dénoûment n’était du goût de don Jorge. Le prisonnier voulait rester en prison. Citant saint Paul au magistrat ébahi : — Vous nous avez, lui dit-il, battu de verges publiquement, nous, citoyen romain. À la vue de tous, vous nous avez mis dans vos cachots, et maintenant vous voudriez nous en faire sortir secrètement, par le guichet dérobé. Non, l’outrage et la réparation doivent avoir publicité pareille. J’exige une mise en liberté régulière et solennelle. Si vous employez la force pour me délivrer malgré moi, je résisterai, je vous en préviens. »

Ce fut ainsi, avec pleine approbation de l’ambassade anglaise, que M. Borrow rentra en prison, et Dieu sait quelle prison ! Les récits qu’il fait de cet intérieur souillé donnent vraiment la nausée. En revanche, que d’originaux, quels détails pittoresques ! Ici, parmi les valientes de la prison, — la haute aristocratie du meurtre et du vol, — un enfant de sept ans, vrai louveteau, déjà complice de son père, accusé d’assassinat. Ce poussin de potence, comme l’appelle M. Borrow, était l’orgueil de sa famille. Cravate de soie, belle chemise blanche, gilet à boutons d’argent, rien n’était épargné pour sa parure des dimanches, et, dans sa ceinture écarlate, un grand couteau pendait, qui mettait en gaieté, songeant à l’usage qu’il en savait faire, les hôtes de la carcel. On l’entourait, on l’accablait de caresses, on l’enivrait d’éloges ; tandis que son père, le couvant des yeux avec amour, le faisait sauter sur ses genoux, et, de temps en temps, retirant son cigare d’entre ses épaisses moustaches, le plaçait entre les lèvres roses de cet adorable petit brigand. — Plus loin, un Français, rêveur et distrait, à qui, nonobstant piastres et cigares, M. Borrow ne put jamais arracher le récit de la bagatelle pour laquelle il devait, peu après, subir la garote, c’est-à-dire être étranglé bel et bien. Cette bagatelle était une série de meurtres combinés exactement comme ceux qui ont amené Lacenaire sur l’échafaud. M. Borrow n’en voulait pas moins inviter à dîner ce personnage curieux, ancien soldat de Maïda et de Waterloo ; mais le directeur de la prison, le batu (comme l’appelaient ses hôtes), refusa obstinément son autorisation. « Pour tout autre, disait-il, j’y consentirais, fût-ce Balseiro lui-même, malgré ce qu’on dit de lui, car au moins il sait vivre et ne planque jamais à la bienséance ; mais ce Français, ne m’en parlez pas : c’est le plus détestable caractère de toute la famille. »

La courtoisie espagnole éclate dans ces formules savamment atténuées. Maintenant, savez-vous ce qu’on disait de Balseiro ? C’est que,