Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/1144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Le pauvre vieillard présent devant vous, répondit le magicien, est le supérieur d’un couvent situé à l’est, dans les montagnes. Il y a près d’un siècle, étant à cueillir des simples dans la vallée, il trouva au bord d’une fontaine un livre magique écrit en caractères rouges. Ce livre enseignait l’art de dompter ses passions, de réprimer ses mauvais désirs ; il contenait aussi toutes les recettes qui sont propres à guérir les maux physiques de l’humanité. Le pauvre religieux les a lues et étudiées ; il a publié les enseignemens qu’il tenait du ciel, converti et guéri les hommes de l’empire, et : cela, sans jamais accepter le plus modique salaire. Comment donc pourrait-il corrompre le cœur ou l’esprit des sujets de votre altesse ?

— Vous n’acceptez aucun salaire ? demanda Sun-tsé, c’est très bien ; mais vous ne refusez ni la nourriture, ni les vêtemens, ni les parfums dont on vous fait l’offrande…Vous êtes un sorcier, un rebelle de la race des Bonnets-Jaunes ; des gens comme vous ont toujours été le fléau de l’empire… Je ne puis, en vérité, vous laisser vivre. — Et il donna l’ordre de décapiter le vieillard.

Un des conseillers du jeune prince lui fit observer que ce docteur se montrait depuis bien des années dans le pays, qu’il y était connu et aimé de tout le monde ; son talent dans l’art de guérir, son désintéressement, sa vie exempte de reproches, lui avaient fait dans la ville même beaucoup de partisans : le mettre à mort, ce serait s’aliéner l’esprit des populations.

— Bah ! reprit Sun-tsé, ce prétendu immortel n’est qu’un grossir montagnard, un paysan hypocrite ; j’ai envie d’essayer sur son cou le tranchant de mon cimeterre.

À ces mots, les mandarins éperdus se précipitèrent aux pieds du souverain ; mais leurs supplications ne servirent qu’à l’exaspérer. Il ordonna de charger de fers le vieillard, de lui mettre la cangue et de le jeter en prison. Résister aux ordres du maître, c’était risquer sa tête : les mandarins se retirèrent sans proférer une seule parole. Toutefois ils ne se tenaient pas encore pour battus ; à peine de retour dans leurs palais, ils dirent à leurs femmes de se rendre en corps près de la mère du jeune prince et de la prier d’intercéder en faveur du divin vieillard. Aussitôt la mère de Sun-tsé fit appeler celui-ci dans ses appartemens.

— Mon fils, lui dit-elle, j’apprends que vous avez fait jeter en prison un immortel vénéré de tous vos sujets. C’est lui, sachez-le bien, qui a donné la victoire à vos armées ; n’a-t-il pas aussi guéri les malades dans tous vos états. Il nous a donc rendu de grands services, à vous, à l’armée, au peuple ; gardez-vous bien de le faire périr.

— C’est un sorcier, ma mère, un homme dangereux, reprit le jeune prince ; il pervertit l’esprit de mes sujets ; n’est-il pas cause que mes