Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/1158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’heure, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me tentant !…

À se créer ce qu’on appelle des titres sérieux, on n’y avait point encore pensé mais enfin, « voilà un fauteuil vide qui me tend les bras, autant que ce soit moi qu’un autre ! » Il ne s’agit plus que de se pourvoir d’un bagage quelconque, et vite, avant de se mettre en campagne, on taille sa plume pour la circonstance. Tel qui n’avait soupiré de sa vie que des romances, laborieusement élucubre une messe, paulo majora canamus ; un autre, plus spécialement adonné au style instrumental, aborde l’opéra, toujours en vue de la circonstance ; et remarquez que nous ne parlons ici que des musiciens, et n’avons point à nous occuper des vaudevillistes émérites rimant pour l’Académie un drame littéraire de longue haleine, ou des improvisateurs de madrigaux transformés en philosophes de l’histoire. Qu’importe le tour, pourvu qu’il réussisse ? Et, la plupart du temps, il réussit.

Nommer un successeur à M. Spontini, désigner parmi les notabilités musicales contemporaines le talent le plus digne de figurer dans l’illustre compagnie au lieu et place du grand maître qu’elle vient de perdre, n’est point une tâche si facile, et nous comprenons qu’on se montre embarrassé. Néanmoins, si épineux que soit ce vote, il y aurait, ce semble, moyen de le simplifier en écartant du débat une foule de prétendans dont le tort principal est d’avoir des droits presque en tous points égaux. Quant à nous, si nous avions l’honneur d’avoir à nous prononcer en pareil sujet, nous voudrions restreindre la question entre deux noms : M. Berlioz et M. Zimmerman, par exemple. Nous avons toujours, Dieu merci, professé à l’égard de l’auteur de la Symphonie fantastique et de Benvenuto Cellini une assez entière indépendance d’esprit pour avoir le droit cette fois de nous exprimer tout à notre aise sur sa candidature. Quelle que soit l’opinion que fous portiez sur M. Berlioz, quel que soit le plus ou moins de sympathie que son système musical vous inspire, il est impossible de ne pas reconnaître chez l’auteur de certains fragmens des symphonies d’Harold, de Roméo et Juliette, et de Faust, une intelligence courageuse et forte, une organisation sincèrement éprise du beau, plus esthétique sans doute que foncièrement inventive et originale, mais vouée corps et ame à la défense des grands principes, un de ces talens, en un mot, qui, dans les classifications sociales, doivent avoir leur place, car, lorsqu’on ne la leur donne pas, ils la prennent. Si le docte aéropage devait ne choisir pour se compléter que dans un public composé de plusieurs Beethoven et d’un nombre indéterminé de Mozart, de Weber et de Rossini, nous admettrions, cela va sans dire, qu’on se posât en gens très difficiles ; mais franchement, en présence des noms qui se mettent en avant et lorsqu’il s’agit de nommer un successeur à M. Spontini, serait-il bien permis de contester les titres du musicien dont nous parlons ? — N’importe, et quelques efforts qu’il y fasse, M. Berlioz ne sera point élu ; sa candidature échouera tout naturellement par cette simple et triomphante raison qu’elle doit échouer. Il est de ces courans qu’on ne remonte pas. La section de peinture se chargeait tout récemment de le démontrer à M. Eugène Delacroix, à qui elle préférait M. Alaux. Ou