Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/1168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nécessaire pour les accommoder à son heure et à sa guise ! Si elle a besoin de tempérer la république par la monarchie ou la monarchie par la république, elle devra reculer et souffrir pour ne point être inconséquente ! Non le vrai n’est pas là ; ces dogmes inflexibles n’ont point d’empire sur la réalité, on ne gagnerait rien à s’y assujétir, et ce ne sont point ceux qui les représentent qui doivent jamais nous préserver ; leur force sonne creux. La force pleine et agissante ; c’est le sentiment éclairé des nécessités de chaque jour, c’est l’aptitude à s’en arranger. Les révélateurs du socialisme, les Dieudonnés de la légitimité, sont enchaînés à leurs dogmes ; les nations veulent être conduites avec moins de raideur par des chefs qui se prêtent au lieu de s’imposer. La situation naturelle des princes de la maison d’Orléans comporte bien cette attitude, qui a sa noblesse et sa grandeur : le roi Louis-Philippe l’appelait avec quelque bizarrerie, mais avec beaucoup de justesse, la politiqué d’idonéité.

On a beaucoup reparlé de la fusion des deux branches royales depuis quelques jours ; on avait presque imaginé, dans les endroits où on le désirait, que la lettre de M. le comte de Chambord coupait court à toutes les objections. L’a fusion ne dépend pas de la bonne volonté des individus, c’est pour cela qu’elle ne se fera point. L’antagonisme dérive de dissidences plus profondes que ne le seraient des rivalités ordinaires de famille ; elle tient à la position essentiellement distincte que les événemens et les doctrines ont faite aux deux branches. La branche cadette n’a d’autre loi que le vœu de la France, quel qu’il soit ; pour que le vœu de la France agrée à la branche aînée, il faut qu’il se conforme à la loi même en vertu de laquelle celle-ci s’est isolée, à la loi supérieure dont M. le comte de Chambord est la victime et l’organe La branche cadette ne peut pas refuser d’obéir au pays, si même le pays entend la subordonner au chef héréditaire de la maison ; celui-ci, en vertu de son droit, qui est partie intégrante de sa personne, ne peut obéir au pays qu’à la condition qu’on le prie de monter sur le pavois. Les princes d’Orléans sont donc à même de répondre que c’est au pays de faire la fusion, puisqu’ils la voudront toujours pour leur compte quand il la voudra et de quelque manière qu’il la veuille, tandis que leur aîné ne peut y consentir que si elle s’accorde avec l’immuable rigueur de sa doctrine.

Tel est le malheur des partis providentiels ils se rendent eux mêmes impropres à vivre tout de bon, parce qu’ils se retirent de la société s’ils ne l’emportent point avec eux. Cet écartement qui s’opère, pour ainsi dire, entre eux et le public ne se manifeste que trop par la fausseté même du langage convenu dont ils se servent ; ils ne parlent plus la langue de tout le monde, celle de leur époque. Ils se font un type de fantaisie sur lequel ils se moulent ; ceux-ci reprennent le vocabulaire et la phraséologie de 1793 ; ceux-là s’inculquent une tendresse royaliste qui reproduirait presque les naïves effusions de dévouement et d’amour des vieux serviteurs de la vieille monarchie.

Lisez le discours de M. Dufraisse : c’est la rhétorique froide et compassée de Robespierre jetée par une réminiscence inévitable sur des idées du club des jacobins. Que de mots qui ne sont plus de notre âge, et qui reviennent cependant à l’orateur, parce que sa pensée demeure dans le temps où ils étaient de mise ! Il n’est pas jusqu’à M. Antony Thouret qui, en plaidant la cause fort honnête des pompiers municipaux, ne déclame à côté du ton juste, et ne donne